Dimanche 16 Août
Gossip hurlait dans tout l’appartement lorsque nous sommes arrivés. André déjà passablement éméché vint nous accueillir en nous prenant dans ses bras. J’imaginais son appartement plus grand et plus luxueux. J’étais un peu rassuré, il était plus normal que je l’avais imaginé [si tant est qu’être normal c’est avoir un appartement en plein Paris près du canal Saint-Martin]. Il y avait en tout et pour tout trois pièces plus une petite entrée. Une cuisine, une salle de bains et un grand salon où tout le monde était déjà là. Il y avait des rires, des discussions sérieuses, beaucoup de fumée et des gens qui chantaient faux en même temps que Beth Ditto. Le temps de se faire remonter les bretelles par André du fait de notre retard et voilà, nous rentrions (je rentrais) dans le grand bain.
La première chose qui me frappa en arrivant dans le salon, hormis un poster géant représentant un homme nu de face, c’était la diversité des personnes présentes. J’avais l’impression d’être dans une publicité vivante pour Benetton. Elles étaient une quinzaine. Plus de garçons que de filles. Eléanore me fit un petit signe de la main. Jean, le cœur d’artichaut également.
« Simon ? Viens je vais te présenter tout le monde. Sara, je te présente mon copain, Simon. Simon, Sara.
- Salut Simon. Enchantée !
- Enchanté moi aussi.
- Et ça c’est Rodrigue, Marco et Joseph.
- Salut Simon ! Ça fait un bail Boris ! Tu vas bien ?
- Ouais ça va bien. Je continue de faire le tour et j’arrive après. Bon tu connais déjà Eléanore.
- Tu vas bien Simon ?
- Oui ça va bien et toi ?
- Ça peut aller hormis le fait que tu accapares un peu trop mon frère adoré.
- Et voilà ça recommence ! Et ça c’est sa meilleure amie Margo.
- J’ai beaucoup entendu parler de toi Simon.
- J’imagine que ça ne devait pas être qu’en bien...
- Virgil ?
- Ouais attends deux minutes Bo’ j’essaie d’appeler Félix pour voir s’il ne pourrait pas nous avoir quelques trucs. Histoire de pimenter la soirée. On se fait chier.
- Je voudrais te présenter Simon, ton coup de fil peut attendre non ?
- Salut Simon. Moi c’est donc Virgil.
- Salut. Je suis très content de te rencontrer.
- Ouais ok. Alors c’est toi le petit nouveau du moment ?
- Putain tu ne vas pas commencer Virgil ? Tu vois je t’avais dit que c’était un pauvre couillon au début.
- Pas forcément qu’au début...»
Ce premier contact avec Virgil me fit comprendre que jamais, je ne m’en ferais un ami. J’avais une sorte de sixième sens pour ce genre de choses. Il dégageait quelque chose qui me mettait profondément mal à l’aise. Je l’aurais cru plus beau, plus mince, plus élégant. Il donnait l’impression d’être plus âgé que Boris. Son visage blafard trahissait de longues heures passées les volets fermés à boire, fumer ou sniffer je ne sais quoi. J’avais du mal avec les gens comme lui.
« Et alors Jean ? Ton musicien, il n’est pas là ?
- Il revient, il est parti chercher une bouteille. Ça fait combien de temps d’ailleurs ?
- Ouais c’est vrai ça, ça fait bien une heure. Tu crois qu’on devrait partir à sa recherche ?
- Oui, allons-y ! Et prenons avec nous nos torches et nos filets à papillons ! Je te reconnais bien là Baptiste ! Toujours en train de stresser.
- Non mais déconne pas Boris, on ne sait pas, il s’est peut-être fait agresser. Ça serait dommage, il est chou quand même.
- Ah ouais ? Il est chou ?
- Ben ouais, faudrait être difficile.
- Et il s’appelle comment au fait ?
- Thad, enfin Thaddeus mais il nous a dit de l’appeler Thad. »
Je ne me sentais pas du tout à mon aise. Ça ne m’étonnait pas. J’avais du mal à être comme un poisson dans l’eau dès lors que l’on me changeait de bocal. Je sentais le regard de Virgil se poser souvent sur moi, je ne savais pas où me mettre. Heureusement, tous les invités n’étaient pas comme lui.
« Boris m’a dit que tu étais prof.
- Oui, prof d’anglais dans un lycée près de Rouen.
- C’est cool ça. Ça te plait ?
- Ouais si on veut. Au début oui, ça me plaisait mais maintenant moins, je me lasse.
- Ah ouais ? Et tes élèves, ils sont sympa ?
- La plupart oui. Bon après j’ai aussi des cons mais c’est partout pareil. Et toi tu fais quoi ? Tu fais des études ?
- Oh non, j’ai jamais été trop doué pour ça. J’ai tenté une fac de sociologie mais très vite, j’ai plus rien capté. Donc maintenant, je bosse aux Galeries Lafayette. Rayon chaussures. Pareil ce n’est pas l’éclate tout le temps mais ça me permet de vivre, je ne vais pas me plaindre.
- On en est tous là je crois.
- Plus ou moins... Des gens comme Boris, je ne pense pas qu’ils en sont là. Mais bon c’est cool pour eux aussi.
- Ils ont d’autres problèmes les gens comme Boris.
- Oui c’est clair. C’est bien que vous vous soyez trouvé tous les deux, il avait besoin d’un garçon stable et gentil. Pas comme Virgil tu vois. T’en penses quoi toi de lui ?
- Je ne sais pas trop pour le moment. Il m’intimide un peu à vrai dire.
- Ouais il fait peur. Et c’est de pire en pire. Je le connais depuis un an peut-être et je ne l’ai jamais beaucoup aimé. Enfin, on peut aimer son genre si on kiffe les films de zombies. C’est cool en tout cas de discuter avec toi, t’as l’air posé, ça fait plaisir. Faudrait qu’on se voie un des ces quatre pour un Starbucks avec Boris.
- Carrément ! Donne-moi ton tel si tu veux. Ah merde, j’oubliais, j’ai plus de téléphone.
- Pas grave, Boris l’a déjà. Hein tu l’as mon tel Boris ?
- Euh ben ouais je crois. Attends je regarde. Oui, oui Hedi. C’est bon je l’ai, tu vois ? »
« T’as encore des glaçons André ?
- Oui dans la cuisine, attends j’y vais.
- Non ne bouge pas, je vais y aller. »
C’était le seul subterfuge que j’avais trouvé pour pouvoir m’échapper deux minutes. J’avais grand besoin de respirer. Et ce, dans tous les sens du terme.
« Ça ne va pas ?
- Oh, ne t’en fais pas, j’avais juste besoin de prendre un peu l’air.
- Mais sinon t’es sûr que ça va ? Je vois bien que tu n’es pas trop à ton aise. Tu ne parles pas trop. Tu restes dans ton coin. Ils sont sympas mes amis non ?
- Oui, oui. Je vais revenir dans deux minutes, ne t’inquiète pas.
- C’est Virgil qui te met mal à l’aise ?
- Un peu oui. J’ai l’impression qu’il ne m’aime pas. Il n’arrête pas de me jeter des regards assassins.
- Je t’ai dit, il est particulier c’est tout. Ne te formalise surtout pas.
- Je suis comme ça, je n’y peux rien. Dès que quelqu’un ne m’aime pas, ça me perturbe et je culpabilise.
- Arrête de te prendre la tête comme ça. Tout le monde ne peut pas t’aimer. Et puis rien ne dit que Virgil ne t’aime pas. Allez viens on y retourne. »
Au moment où nous sortions de la cuisine, la porte d’entrée s’ouvrit et Thad apparut, une bouteille de vodka à la main. C’était bien le musicien que j’avais vu quelques jours auparavant devant le centre Pompidou. Il était plutôt grand et mince. Des cheveux châtains clairs mi-longs et un léger bouc. Il portait des grosses lunettes de vue à montures noires, un jean légèrement pattes d’eph’, une chemise de bûcheron et des converse complètement usées. L’archétype du jeune américain fraîchement débarqué de son Oklahoma natal.
« Salut ! Moi c’est Thad !
- Salut je suis Simon et lui c’est Boris, mon copain. Enfin mon boyfriend.
- Salut !
- Oh, j’avais compris copain.
- Ah ok. Tu t’étais perdu ?
- Non, j’ai juste baladé un peu. »
Le retour de Thad redonna un second souffle à la soirée. Il n’y a pas à dire, l’exotisme, même américain, ça payait toujours ! Tout le monde voulait en savoir plus sur lui. Les questions fusaient, les réponses étaient souvent craquantes avec cette pointe d’accent et ces légères fautes de grammaire. Ainsi, on apprit qu’il était arrivé à Paris il y a cinq semaines, qu’il venait d’Utah, de Salt Lake City plus précisément [je n’étais pas très loin avec mon Oklahoma]. Non il n’était pas mormon. Il avait 21 ans et toutes ses économies avaient été utilisées pour payer son voyage vers la France. Il vivotait depuis qu’il était ici mais aimait ce qu’il voyait. Il était comme un gamin dans un magasin de jouets.
« En tout cas, si t’as besoin, tu peux venir dormir ici quand tu veux !
- Chez moi aussi.
- Pareil chez moi !
- Oh c’est gentil les gars.
- Et si t’as envie de visiter Rouen tu es le bienvenu.
- C’est gentil, merci beaucoup. Tu viens de Rouen Simon ?
- Oui.
- C’est beau je pense. C’est où Joan of Arc est morte ?
- Oui c’est ça. Tu parles vraiment bien français.
- Merci. C’est grâce à ma mère. Je suis allé dans une école français. Elle aime beaucoup les films de Godard, Truffaut. Elle voulait que je parle le langage de ces films. J’aime le français. Je vais aller fumer à la fenêtre, tu veux venir avec moi Simon ? »
Il était 2 heures du matin et enfin je me sentais légitime dans cette soirée. Je crois que la vodka m’aidait à ne pas me préoccuper de Virgil qui, de toute façon, ne participait à aucune conversation. Il restait dans son coin à rouler des joints qu’il fumait seul. Même Boris n’arrivait pas à lui parler, les retrouvailles étaient plus que tièdes.
« Depuis longtemps tu es avec Boris ?
- Ça fait juste une semaine.
- Ah ok. Il est très beau. Il me rappelle un acteur français. Je ne sais plus son nom. Et où tu l’as connu ?
- Chez Eléanore, sa sœur. A une soirée. Et toi, tu aimes plutôt les garçons ou les filles ?
- Je ne sais pas trop. Les deux je pense. Hedi est très gentil et beau. Et Sara aussi. Tu sais s’ils sont seuls ?
- Sara je ne sais pas du tout. Elle est folle c’est tout ce que je sais. Hedi, lui, est seul. Il me l’a dit tout à l’heure. Tu me files la fin de ta cigarette s’il te plait ?
- File ?
- Ah, donne. Excuse-moi. »
En revenant dans le salon, Virgil était parti. Boris me prit dans ses bras et m’embrassa longtemps avant de me demander.
« Il ne t’as pas trop dragué la Mascotte ?
- Mais non. On a juste discuté c’est tout ! Tu ne serais pas un peu possessif toi ?
- Je demande voilà tout. Il est plutôt charmant alors je préfère me renseigner. J’évalue les risques.
- Comme tu aimes les risques, tu dois être heureux. Il est vraiment gentil en tout cas. Contrairement à certains autres.
- Je vois ce que tu veux dire. Mais tu vois, il est parti. Respire maintenant. Il était vraiment bizarre ce soir. Je ne sais pas du tout ce qu’il avait. Je n’ai même pas pu lui faire aligner deux phrases. Ça sera pour une autre fois, tant pis. Tu veux qu’on y aille mon chéri ?
- Non on peut rester encore un peu. Je m’amuse bien tout compte fait. Et puis je veux voir le tour de chant que Sara nous a promis !
- Ouh la, tu ne sais pas dans quoi tu t’engages là. Sa façon de chanter est plus que conceptuelle, tu ne t’en relèveras pas, crois moi.
- Pas grave, c’est moi qui ai envie de prendre des risques ce soir. »
Oui, j’avais envie de prendre des risques, de me dépasser. J’avais envie d’oublier ma timidité, d’être hors de moi dans le bon sens du terme. Je voulais chanter à tue-tête du Beyoncé, je voulais même tenter ses chorégraphies improbables. Je voulais boire encore et encore des cocktails colorés avec plein de vodka. Je voulais tisser des liens avec Hedi, Sara, Rodrigue, Joseph et tous les autres. Je voulais parler encore avec Thad. Je voulais regarder Boris et l’embrasser avec les yeux. Je voulais être un nouveau Simon. En cet instant, alors que le ciel parisien était plus que noir, je le sentais naître en moi.
Seulement, ce que j’allais toujours devoir garder en mémoire c’est qu’être un Nouveau Simon c’est bien mais ne pas oublier ce qui faisait l’Ancien c’est encore mieux. Et, j’allais vite m’en rendre compte, c’est même vital.