dimanche 29 novembre 2009

Chapitre 12 - Virgil, le Mystérieux Musicien de Beaubourg et les Autres-


  Dimanche 16 Août


Gossip hurlait dans tout l’appartement lorsque nous sommes arrivés. André déjà passablement éméché vint nous accueillir en nous prenant dans ses bras. J’imaginais son appartement plus grand et plus luxueux. J’étais un peu rassuré, il était plus normal que je l’avais imaginé [si tant est qu’être normal c’est avoir un appartement en plein Paris près du canal Saint-Martin]. Il y avait en tout et pour tout trois pièces plus une petite entrée. Une cuisine, une salle de bains et un grand salon où tout le monde était déjà là. Il y avait des rires, des discussions sérieuses, beaucoup de fumée et des gens qui chantaient faux en même temps que Beth Ditto. Le temps de se faire remonter les bretelles par André du fait de notre retard et voilà, nous rentrions (je rentrais) dans le grand bain.
La première chose qui me frappa en arrivant dans le salon, hormis un poster géant représentant un homme nu de face, c’était la diversité des personnes présentes. J’avais l’impression d’être dans une publicité vivante pour Benetton. Elles étaient une quinzaine. Plus de garçons que de filles. Eléanore me fit un petit signe de la main. Jean, le cœur d’artichaut également.
« Simon ? Viens je vais te présenter tout le monde. Sara, je te présente mon copain, Simon. Simon, Sara.
- Salut Simon. Enchantée !
- Enchanté moi aussi.
- Et ça c’est Rodrigue, Marco et Joseph.
- Salut Simon ! Ça fait un bail Boris ! Tu vas bien ?
- Ouais ça va bien. Je continue de faire le tour et j’arrive après. Bon tu connais déjà Eléanore.
- Tu vas bien Simon ?
- Oui ça va bien et toi ?
- Ça peut aller hormis le fait que tu accapares un peu trop mon frère adoré.
- Et voilà ça recommence ! Et ça c’est sa meilleure amie Margo.
- J’ai beaucoup entendu parler de toi Simon.
- J’imagine que ça ne devait pas être qu’en bien...
- Virgil ?
- Ouais attends deux minutes Bo’ j’essaie d’appeler Félix pour voir s’il ne pourrait pas nous avoir quelques trucs. Histoire de pimenter la soirée. On se fait chier.
- Je voudrais te présenter Simon, ton coup de fil peut attendre non ?
- Salut Simon. Moi c’est donc Virgil.
- Salut. Je suis très content de te rencontrer.
- Ouais ok. Alors c’est toi le petit nouveau du moment ?
- Putain tu ne vas pas commencer Virgil ? Tu vois je t’avais dit que c’était un pauvre couillon au début. 
- Pas forcément qu’au début...»

Ce premier contact avec Virgil me fit comprendre que jamais, je ne m’en ferais un ami. J’avais une sorte de sixième sens pour ce genre de choses. Il dégageait quelque chose qui me mettait profondément mal à l’aise. Je l’aurais cru plus beau, plus mince, plus élégant. Il donnait l’impression d’être plus âgé que Boris. Son visage blafard trahissait de longues heures passées les volets fermés à boire, fumer ou sniffer je ne sais quoi. J’avais du mal avec les gens comme lui.
« Et alors Jean ? Ton musicien, il n’est pas là ?
- Il revient, il est parti chercher une bouteille. Ça fait combien de temps d’ailleurs ?
- Ouais c’est vrai ça, ça fait bien une heure. Tu crois qu’on devrait partir à sa recherche ?
- Oui, allons-y ! Et prenons avec nous nos torches et nos filets à papillons ! Je te reconnais bien là Baptiste ! Toujours en train de stresser.
- Non mais déconne pas Boris, on ne sait pas, il s’est peut-être fait agresser. Ça serait dommage, il est chou quand même.
- Ah ouais ? Il est chou ?
- Ben ouais, faudrait être difficile.
- Et il s’appelle comment au fait ?
- Thad, enfin Thaddeus mais il nous a dit de l’appeler Thad. »
Je ne me sentais pas du tout à mon aise. Ça ne m’étonnait pas. J’avais du mal à être comme un poisson dans l’eau dès lors que l’on me changeait de bocal. Je sentais le regard de Virgil se poser souvent sur moi, je ne savais pas où me mettre. Heureusement, tous les invités n’étaient pas comme lui.
«  Boris m’a dit que tu étais prof.
- Oui, prof d’anglais dans un lycée près de Rouen.
- C’est cool ça. Ça te plait ?
- Ouais si on veut. Au début oui, ça me plaisait mais maintenant moins, je me lasse.
- Ah ouais ? Et tes élèves, ils sont sympa ?
- La plupart oui. Bon après j’ai aussi des cons mais c’est partout pareil. Et toi tu fais quoi ? Tu fais des études ?
- Oh non, j’ai jamais été trop doué pour ça. J’ai tenté une fac de sociologie mais très vite, j’ai plus rien capté. Donc maintenant, je bosse aux Galeries Lafayette. Rayon chaussures. Pareil ce n’est pas l’éclate tout le temps mais ça me permet de vivre, je ne vais pas me plaindre.
- On en est tous là je crois.
- Plus ou moins... Des gens comme Boris, je ne pense pas qu’ils en sont là. Mais bon c’est cool pour eux aussi.
- Ils ont d’autres problèmes les gens comme Boris.
- Oui c’est clair. C’est bien que vous vous soyez trouvé tous les deux, il avait besoin d’un garçon stable et gentil. Pas comme Virgil tu vois. T’en penses quoi toi de lui ?
- Je ne sais pas trop pour le moment. Il m’intimide un peu à vrai dire.
- Ouais il fait peur. Et c’est de pire en pire. Je le connais depuis un an peut-être et je ne l’ai jamais beaucoup aimé. Enfin, on peut aimer son genre si on kiffe les films de zombies. C’est cool en tout cas de discuter avec toi, t’as l’air posé, ça fait plaisir. Faudrait qu’on se voie un des ces quatre pour un Starbucks avec Boris.
- Carrément ! Donne-moi ton tel si tu veux. Ah merde, j’oubliais, j’ai plus de téléphone.
- Pas grave, Boris l’a déjà. Hein tu l’as mon tel Boris ?
- Euh ben ouais je crois. Attends je regarde. Oui, oui Hedi. C’est bon je l’ai, tu vois ? »

« T’as encore des glaçons André ?
- Oui dans la cuisine, attends j’y vais.
- Non ne bouge pas, je vais y aller. »
C’était le seul subterfuge que j’avais trouvé pour pouvoir m’échapper deux minutes. J’avais grand besoin de respirer. Et ce, dans tous les sens du terme.

« Ça ne va pas ?
- Oh, ne t’en fais pas, j’avais juste besoin de prendre un peu l’air.
- Mais sinon t’es sûr que ça va ? Je vois bien que tu n’es pas trop à ton aise. Tu ne parles pas trop. Tu restes dans ton coin. Ils sont sympas mes amis non ?
- Oui, oui. Je vais revenir dans deux minutes, ne t’inquiète pas.
- C’est Virgil qui te met mal à l’aise ?
- Un peu oui. J’ai l’impression qu’il ne m’aime pas. Il n’arrête pas de me jeter des regards assassins.
- Je t’ai dit, il est particulier c’est tout. Ne te formalise surtout pas.
- Je suis comme ça, je n’y peux rien. Dès que quelqu’un ne m’aime pas, ça me perturbe et je culpabilise.
- Arrête de te prendre la tête comme ça. Tout le monde ne peut pas t’aimer. Et puis rien ne dit que Virgil ne t’aime pas. Allez viens on y retourne. »
Au moment où nous sortions de la cuisine, la porte d’entrée s’ouvrit et Thad apparut, une bouteille de vodka à la main. C’était bien le musicien que j’avais vu quelques jours auparavant devant le centre Pompidou. Il était plutôt grand et mince. Des cheveux châtains clairs mi-longs et un léger bouc. Il portait des grosses lunettes de vue à montures noires, un jean légèrement pattes d’eph’, une chemise de bûcheron et des converse complètement usées. L’archétype du jeune américain fraîchement débarqué de son Oklahoma natal.
« Salut ! Moi c’est Thad !
- Salut je suis Simon et lui c’est Boris, mon copain. Enfin mon boyfriend.
- Salut !
- Oh, j’avais compris copain.
- Ah ok. Tu t’étais perdu ?
- Non, j’ai juste baladé un peu. »
Le retour de Thad redonna un second souffle à la soirée. Il n’y a pas à dire, l’exotisme, même américain, ça payait toujours ! Tout le monde voulait en savoir plus sur lui. Les questions fusaient, les réponses étaient souvent craquantes avec cette pointe d’accent et ces légères fautes de grammaire. Ainsi, on apprit qu’il était arrivé à Paris il y a cinq semaines, qu’il venait d’Utah, de Salt Lake City plus précisément [je n’étais pas très loin avec mon Oklahoma]. Non il n’était pas mormon. Il avait 21 ans et toutes ses économies avaient été utilisées pour payer son voyage vers la France. Il vivotait depuis qu’il était ici mais aimait ce qu’il voyait. Il était comme un gamin dans un magasin de jouets.
« En tout cas, si t’as besoin, tu peux venir dormir ici quand tu veux !
- Chez moi aussi.
- Pareil chez moi !
- Oh c’est gentil les gars.
- Et si t’as envie de visiter Rouen tu es le bienvenu.
- C’est gentil, merci beaucoup. Tu viens de Rouen Simon ?
- Oui.
- C’est beau je pense. C’est où Joan of Arc est morte ?
- Oui c’est ça. Tu parles vraiment bien français.
- Merci. C’est grâce à ma mère. Je suis allé dans une école français. Elle aime beaucoup les films de Godard, Truffaut. Elle voulait que je parle le langage de ces films. J’aime le français. Je vais aller fumer à la fenêtre, tu veux venir avec moi Simon ? »

Il était 2 heures du matin et enfin je me sentais légitime dans cette soirée. Je crois que la vodka m’aidait à ne pas me préoccuper de Virgil qui, de toute façon, ne participait à aucune conversation. Il restait dans son coin à rouler des joints qu’il fumait seul. Même Boris n’arrivait pas à lui parler, les retrouvailles étaient plus que tièdes.
« Depuis longtemps tu es avec Boris ?
- Ça fait juste une semaine.
- Ah ok. Il est très beau. Il me rappelle un acteur français. Je ne sais plus son nom. Et où tu l’as connu ?
- Chez Eléanore, sa sœur. A une soirée. Et toi, tu aimes plutôt les garçons ou les filles ?
- Je ne sais pas trop. Les deux je pense. Hedi est très gentil et beau. Et Sara aussi. Tu sais s’ils sont seuls ?
- Sara je ne sais pas du tout. Elle est folle c’est tout ce que je sais. Hedi, lui, est seul. Il me l’a dit tout à l’heure. Tu me files la fin de ta cigarette s’il te plait ?
- File ?
- Ah, donne. Excuse-moi. »

En revenant dans le salon, Virgil était parti. Boris me prit dans ses bras et m’embrassa longtemps avant de me demander.
« Il ne t’as pas trop dragué la Mascotte ?
- Mais non. On a juste discuté c’est tout ! Tu ne serais pas un peu possessif toi ?
- Je demande voilà tout. Il est plutôt charmant alors je préfère me renseigner. J’évalue les risques.
- Comme tu aimes les risques, tu dois être heureux. Il est vraiment gentil en tout cas. Contrairement à certains autres.
- Je vois ce que tu veux dire. Mais tu vois, il est parti. Respire maintenant. Il était vraiment bizarre ce soir. Je ne sais pas du tout ce qu’il avait. Je n’ai même pas pu lui faire aligner deux phrases. Ça sera pour une autre fois, tant pis. Tu veux qu’on y aille mon chéri ?
- Non on peut rester encore un peu. Je m’amuse bien tout compte fait. Et puis je veux voir le tour de chant que Sara nous a promis !
- Ouh la, tu ne sais pas dans quoi tu t’engages là. Sa façon de chanter est plus que conceptuelle, tu ne t’en relèveras pas, crois moi.
- Pas grave, c’est moi qui ai envie de prendre des risques ce soir. »

Oui, j’avais envie de prendre des risques, de me dépasser. J’avais envie d’oublier ma timidité, d’être hors de moi dans le bon sens du terme. Je voulais chanter à tue-tête du Beyoncé, je voulais même tenter ses chorégraphies improbables. Je voulais boire encore et encore des cocktails colorés avec plein de vodka. Je voulais tisser des liens avec Hedi, Sara, Rodrigue, Joseph et tous les autres. Je voulais parler encore avec Thad. Je voulais regarder Boris et l’embrasser avec les yeux. Je voulais être un nouveau Simon. En cet instant, alors que le ciel parisien était plus que noir, je le sentais naître en moi.
Seulement, ce que j’allais toujours devoir garder en mémoire c’est qu’être un Nouveau Simon c’est bien mais ne pas oublier ce qui faisait l’Ancien c’est encore mieux. Et, j’allais vite m’en rendre compte, c’est même vital.




Chapitre 11 -Toi ce n'est pas pareil...-



[par un simple clic droit sur la date ci-dessus vous ouvrirez une playlist à écouter en lisant cette chronique]

Paris, 15 Août
Nous aurions pu l’avoir tout à nous
Paris désert en ce mois d’Août

J’avais en attendant Boris mis un vinyle de Barbara. Les deux heures s’étaient vite transformées en trois heures puis quatre, cinq, six… Je m’étais assoupi après avoir regardé quelques photos punaisées ça et là. Je ne savais pas du tout qui étaient tous ces gens. Bien sûr, des fois, je pouvais reconnaître la grande silhouette dégingandée d’Eléanore mais tous ces autres…Où était Virgil ? Etait-ce lui, le grand blond à lunettes ? Ou bien lui ce garçon frisé au joli sourire ? J’entendais les cloches de Notre Dame sonner, leur son me berçait. Puis Boris est rentré. Barbara chantait toujours. 
...
Depuis qu’il s’en était allé
Longtemps je l’avais espéré
Ce vagabond, ce disparu
Voilà qu’il m’était revenu 

Il s’est approché. J’entendais ses gestes. Je les devinais. J’espérais ses futurs mouvements. Je le voulais m’embrassant, se couchant à côté de moi sur ce petit futon, se serrant à moi pour se faire une place, me touchant du bout des doigts. J’entendais sa respiration près de mon cou. J’avais envie d’ouvrir les yeux. Je me contentais de sourire. Il toucha mes cheveux, entortilla certaines mèches autour de ses doigts. Il glissa ses mains sous mon tee-shirt. Une fois encore, nous ne faisions qu’un. J’aimais ce genre d’excuses, elles me donnaient envie de plus de disputes. Ses jambes contre les miennes, ses pieds près des miens, sa langue luttant contre la mienne ...

Tu me fais des nuits et des jours
Et des jours et des nuits d’amour.
Toi, je le sais, tu pourrais même
M’ensoleiller sous la pluie même.
Avant toi d’autres sont venus
Que je n’ai jamais reconnus.
Pour toi, je ne suis pas le même.
Toi, ce n’est pas pareil, je t’aime,
Je t’aime.

Longtemps, nous sommes restés l’un contre l’autre comme ça. Il faisait très chaud. Les grandes portes-fenêtres étaient ouvertes, Paris circulait sans bruit comme pour ne pas nous déranger. On ne parlait pas. Nos corps avaient déjà beaucoup parlé, rien à ajouter. La nuit commençait à tomber, le ciel adoptait une teinte rosée qui rappelait la couleur de la peau de Boris. Ma bouche se promenait sur son ciel. Barbara ne chantait plus. Le silence. Il m’a dit Je t’aime. Tout bas. Sans un mot mais je l’ai entendu. L’amour continua dans la baignoire puis dans la cuisine entre deux gorgées d’eau fraîche. Nous nous sommes finalement résignés à nous rendre nos corps respectifs. Il fallait s’habiller, cacher les traces de nos baisers, de nos lèvres, de nos dents, de nos étreintes. Il était plus de 22h lorsque nous avons commencé à envisager de sortir, de quitter ces lieux encore empreints de nos chaleurs, de nos désirs. Le désordre y régnait toujours, le lit était fait c’était déjà ça.
Je serrais la main de Boris le plus fort que je pouvais, besoin qu’il comprenne. Il le savait pourtant mais je me devais de le lui répéter. Il me regarda, me sourit, j’aimais ce sourire.
André vivait près du canal Saint-Martin. Nous traversâmes la Seine qui ressemblait à un lac ce soir-là. Les bateaux mouches, les flashs des appareils photos, les lampadaires, rien ne semblait lui donner plus de vie qu’elle n’en avait déjà. Puis nous nous sommes engouffrés dans le 3ème arrondissement puis le 10ème. Il n’y avait personne dans les rues. Juste lui et moi. Boris et moi.
Boris & Simon
J’aimais la consonance de nos deux prénoms. Ils sonnaient comme deux prénoms mythologiques. Une histoire où deux amoureux se suivraient jusqu’au bout du monde et traverseraient un monde en attente. Un monde suspendu. Un monde sans bruit, sans personne. Un monde libre de l’humanité qui les empêchait de devenir des êtres divins.
Deux prénoms liés à jamais, séparés par moment mais jamais loin l’un de l’autre.
Simon et Boris. Deux cœurs battant à l’unisson.
Passage des Marais. L’immeuble d’André surgit de nulle part. Je pouvais entendre les cris et les rires. J’avais aimé ce silence. J’allais devoir le laisser filer pour le retrouver plus tard. Boris appuya sur l’interphone. Je savourai ce dernier moment paisible et regardai le visage de Boris une dernière fois pour mieux apprendre à le laisser filer lui aussi. Le laisser appartenir à d’autres pour quelques heures. Mais je gardais pour moi, ce lien que nous savions indéfectible.
La porte s’ouvre, l’ascenseur se referme. Trois étages. Nous nous embrassons. Il me regarde, me fait tournoyer sur le pas de la porte et me susurre « Deux petites heures, c’est tout ».



1er extrait Paris, 15 Août par Barbara
2ème extrait Nantes par Barbara
3ème extrait Toi par Barbara


jeudi 26 novembre 2009

Merci

Merci à tout ceux qui suivent ces chroniques jour après jour, semaine après semaine...
Merci de m'aider à croire que ce que j'écris peut être digne d'intérêt et peut parler à plein de gens...Des garçons comme des filles...
Merci à mes amis et amies de me suivre, de m'encourager, de m'aider, de m'aimer, de me faire rire, de m'émouvoir, de m'inspirer...
Merci à celles et ceux que je ne connais pas mais qui me lisent quand même...Vous êtes précieux et me donnez envie de vous connaître.
Et surtout merci de faire vivre Simon, Norma, Boris, Pierre, Clara et tous les autres...Grâce à vous, j'ai envie de les faire vivre longtemps...
Merci. 

Charles M. Margueritte



dimanche 22 novembre 2009

Chapitre 10 - Un Talent réduit au Silence-


Dimanche 16 Août


Je pensais vraiment que le moment le plus pénible du week-end était passé lorsque j’avais tout raconté à Boris et tiré [c’est ce que je croyais] une croix sur une partie de mon passé. C’était sans compter les aléas des rencontres fortuites dans le métro parisien. Tout avait pourtant bien commencé. Après un arrêt au Starbuck’s pour un frappuccino au chocolat, Boris et moi, plus décidés que jamais à passer un long moment ensemble, dans toutes les positions possibles, nous sommes dirigés vers le métro direction Notre Dame.

« En rentrant je te fais un massage. J’ai une huile qui sent divinement bon, tu vas fondre.
- Je n’osais pas te le demander. Je suis aussi transparent ?
- Je suis un peu médium sur les bords, c’est pour ça. D’ailleurs là, je sais que tu penses à un truc bien précis mais c’est bien trop sale pour que je le répète. Putain !
- Quoi ?
- Ne tourne pas la tête. A gauche, il y a André et il ne faut surtout pas qu’il nous voie. »
[Je vous ai déjà parlé de mon côté espion surentraîné aux techniques furtives ? Et bien, je dois vraiment être déréglé parce qu’au moment où je me forçais à être le plus discret possible, André tourna la tête et hurla nos noms. Je vais pouvoir arrêter de me surnommer Sidney Bristow je crois. Tout fout le camp.]
« Je le crois pas ! Un revenant ! Tu te décides à réapparaître parmi nous ? Tu nous as manqués mine de rien mon beau.
- Je ne suis parti qu’une semaine. On se calme.
- Une semaine c’est long parfois. Alors ça y est vous deux ? C’est électrique et fantastique ?
- Oui, oui, on peut dire ça comme ça. Qu’est ce que tu fais de beau par ici ?
- Je viens chercher un copain qui arrive de Caen dans quinze minutes. Et vous, vous rentrez là ?
- Oui. D’ailleurs on va y aller parce qu’on est un peu fatigués, la nuit a été courte.
- Ouais ben reposez vous bien parce que ce soir c’est grosse fête chez moi.
- Je crois que ça ne va pas être possible ce soir André…
- Quoi ? Vous ne pouvez pas avoir un truc de prévu plus important que ce que moi je propose. C’est im-pos-si-ble ! [André adorait décortiquer les mots de la sorte comme s’il avait affaire à des mômes débiles] Alors ramenez vos fesses vers 21h !
- Non je te jure ce soir on ne va pas sortir.
- Putain Boris ! Il y aura tout le monde. Comme à la grande époque ! Il y aura même Virgil, c’est pour te dire.
- Ah ouais ? Virgil a dit qu’il viendrait ?
- Et oui, j’ai un côté très persuasif quand je m’y mets…
- Je n’en doute pas. Ça te dit d’aller y faire un tour Simon ? Histoire de te présenter tout le monde.
- Euh je ne sais pas… [en fait, je savais très bien mais comment faire comprendre à Boris que je n’avais pas envie de voir ses horribles pseudo-amis, que j’avais peur de rencontrer Virgil l’ex-amant de mon copain et qu’en plus, par-dessus tout ça, j’avais envie de passer ma soirée au lit avec lui, vautré dans une luxure indécente ? On va devoir bosser la transmission de pensées je crois] Oui, oui pourquoi pas…
- Bon ben c’est réglé comme ça. Venez donc à 21h. N’amenez rien, j’ai tout prévu ! En plus j’ai invité le fantasme de Jean, il ne faut pas louper ça !
- Qui ça ? Le vendeur de Zara ?
- Oh non ça lui est passé ça !
- Le type en costume qu’il croise tous les jours à 17h30 rue Montorgueuil ?
- Non plus. Lui ça fait au moins trois mois qu’il ne m’a pas saoulé avec. T’es carrément pas à la page Boris ! C’est le guitariste de Beaubourg maintenant ! Je l’ai invité et il a dit oui ! Enfin oui puisqu’il est américain ! [pathétique imitation de Jane Birkin] Bref trop bon-ne soi-rée en pers-pec-tive !
- Ok. Ben à ce soir alors !
- Oui à ce soir mes loulous ! Ah au fait ! Appelle ton binôme, elle déprime depuis que tu es parti et je crois qu’elle te fait même un tantinet la gueule. Bon je file moi, je suis attendu ! »

Je regrettais déjà d’avoir quitté Rouen et sa quiétude provinciale pour Paris et ses mondanités obligatoires si on ne voulait pas être mis au ban. Pourquoi Boris n’avait-il pas dit non ? Un bon, gros non franc et massif. Pourquoi est-ce que je n’étais pas sorti de ma légendaire réserve pour clamer haut et fort que non, leur soirée de crétins argentés ne me disait rien et qu’ils ne me faisaient vraiment pas rire ? Imaginez une foule de petits Jean Sarkozy qui boivent du Dom Pé et ricanent bêtement et vous serez encore loin du compte. Je recommençais à me faire tous les films possibles sur ma rencontre avec Virgil et celui qui, de loin, me faisait le plus peur était celui où Virgil tel une Glenn Close au meilleur des années 80, arriverait, empoignerait fermement ma bite à travers mon jean et me susurrerait d’une petite voix menaçante et mielleuse « Boris est à moi, je te laisse 24h pour quitter le pays ». Un brin exagéré je pense.
« Toi, tu es en train de cogiter.
- Non, qu’est ce qui te fait dire ça ?
- Peut-être le fait que tu as dû, au bas mot, rentrer dans quinze personnes en l’espace d’une minute. Tu nous fais un remake du clip de The Verve ou quoi ?
- Non je pensais juste à ce soir, c’est tout. Oh excusez-moi madame.
- Et de seize ! Et c’était un homme. Oui merci, je me doutais un peu que tu pensais à la soirée. On peut encore annuler tu sais.
- Non, on va y aller, ça te fait plaisir.
- Le mieux serait que ça nous fasse plaisir à tous les deux. Tu vas où là ? C’est ce métro là qu’on va prendre !
- Désolé. Non, c’est bon, on va y aller.
- Quel enthousiasme ! Pourquoi tu ne l’as pas dit direct quand je te l’ai demandé ?
- Parce qu’il y avait André et que je ne voulais pas le vexer. Ça ne se fait pas trop.
- Qu’est ce qui ne se fait pas ? D’être franc ? André a beaucoup de défauts mais si tu lui avais dit ce que tu en pensais, il ne s’en serait pas formalisé du moins il serait vite passé à autre chose.
- Je ne savais pas. Mais de toute façon, autant y aller, ça ne sert à rien de reculer l’instant de ma rencontre avec Virgil.
- Ah, c’est donc ça qui te fait peur ? Ne t’en fais pas comme ça. Virgil est un petit merdeux pendant les cinq premières minutes et après il est adorable. Il va juste essayer de te tester mais maintenant que tu le sais, tout va aller comme sur des roulettes. Non ?
- Si tu le dis… »

Il était un peu plus de 14h lorsque nous sommes arrivés chez Boris. Je commençais déjà à compter les heures qui me séparaient de la fameuse soirée. Plus que sept heures. Un peu moins si l'on comptait le trajet pour aller jusqu’à chez André. L’appartement était en désordre. Des bouteilles vides, des cendriers pleins, des vêtements éparpillés ça et là, des petites culottes, des collants.
« C’est Eléanore qui a mis tout ce bazar ?
- Ouais sans aucun doute. C’est la seule à avoir les clés de chez moi. Elle a dû venir quelques jours ici. Elle nous a fait sa petite crise habituelle, je lui manquais trop alors elle a foutu le bordel. Je vais l’appeler d’ailleurs, ça sera fait comme ça. Si t’as soif, sers-toi, il doit bien rester des trucs dans le frigo. »

La cuisine était comme le reste de l’appartement un désordre sans nom. La vaisselle débordait de l’évier. Le plan central était recouvert de miettes et de verres à moitié vides et comme je m’y attendais, le réfrigérateur était un synonyme du désert de Gobi. Par contre, sur des étagères dissimulées par un rideau en vichy noir, je fus surpris de trouver des dizaines de livres de cuisine. Il y en avait de toutes les tailles et pour tous les goûts, des potées auvergnates aux smoothies, des plats végétariens aux verrines, des recettes de grand-mères aux 1001 façons de faire des cheesecakes. J’étais abasourdi. Ce garçon avait-il seulement un défaut ? Pourquoi est-ce qu’il ne m’en avait jamais parlé ?
« Ah, toi tu as trouvé la caverne d’Ali Baba ?
- C’est dingue tous les livres que tu peux avoir ! Pourquoi tu ne me l’as jamais dit ?
- Quoi ? Que j’avais des bouquins de recettes ?
- Mais non imbécile ! Que tu adorais faire la cuisine. En te voyant, c’est pas la première chose qui vienne à l’esprit. La première fois que je t’ai vu, je ne me suis pas dit « Punaise ce type a la tête du mec qui ne loupe jamais ces œufs cocotte ! » T’es vraiment trop cachottier toi ! Tu vois qu’on a encore du chemin à faire avant de bien se connaître ?
- Ouais. Sans doute. Enfin si je n’en ai jamais parlé c’est surtout parce que ça fait toujours sourire quand je dis que j’aimerais en faire mon métier. Et puis, ce n’est pas non plus une information de la plus haute importance.
- Je trouve ça important moi. Et tu t’en fous de ce pensent les autres ! Non ?
- Ouais mais pas là. Pas quand ton père te pousse à devenir quelqu’un de bien et pas un larbin qui se tue à la tâche pour une misère. Ce n’est pas moi qui le dis ça, c’est lui. Et je ne te parle même pas de mon grand-père. Pour un ancien ministre, avoir un petit-fils cuistot c’est pas un motif de fierté. Alors je me suis écrasé et j’ai mis ça de côté.
- T’aurais jamais dû Boris. Si c’est ce que tu aimes, tu devrais foncer.
- Ce n’est pas si facile ! Dans quel monde tu vis ? Je ne peux pas dire merde à toute ma famille juste pour donner libre cours à mes lubies ! Si toi tu peux, génial ! Pas moi. Et puis je ne peux pas être le fils indigne qui a toutes les tares. Je suis déjà pédé, je ne vais pas en rajouter dans le déshonneur. C’est impossible. Tu comprends ça ?
- Oui. Enfin non, je ne comprends pas. Pas du tout même. Pourquoi tu t’énerves déjà ? Et puis la vie que tu te prépares c’est la tienne, ta vie, ce n’est pas celle de ton père, de ton grand-père ou de je ne sais pas qui encore ! C’est ta vie Boris. Tu sais ce que tu veux faire ! Alors fonce ! C’est trop important ! Tu te rends compte de la chance que tu as ? Moi, je ne l’ai pas cette chance ! Je suis prof mais ça ne me plait pas. Je patauge là. Je fais ça juste parce que je sais faire, c’est tout. J’ai vraiment l’impression de ne servir à rien. Tu la vois la différence ? Et être cuisinier n’a jamais été déshonorant qui plus est. C’est n’importe quoi !
- C’est peut-être n’importe quoi mais c’est comme ça que ça marche dans ma famille. Excuse-moi de m’être énervé mais je n’aime pas trop parler de ça. Faut me comprendre. Je te laisse deux heures, je vais aller voir Eléanore. Elle ne va pas bien. Fais comme chez toi surtout, je ne serai pas long. »
Puis il a disparu de l’encadrement de la porte, je l’ai entendu prendre ses clés, ouvrir la porte d’entrée puis la refermer. Je ne savais pas quoi penser. J’avais souvent eu affaire à des gens qui, sous prétexte d’une absurde pression familiale, laissaient tomber leurs rêves de gosse si réalisables soient-ils. Je n’avais jamais compris et ce n’était pas maintenant, que ça allait changer. Qu’est qu’il fallait que je fasse ? Qu’est ce que je pouvais bien faire ? J’allais devoir me transformer en une espèce d’Amélie Poulain [la coupe de cheveux et l’accent de titi parisien en moins] pour lui faire comprendre qu’il devait à tout prix faire ce qu’il aimait ? En cet instant, un fond de coca zéro éventé dans la main gauche, je ne savais pas du tout comment procéder. Mais tout ce que je savais c’est que pour une fois dans ma vie, j’avais le sentiment que j’allais pouvoir être utile.
Bon peut-être pas autant que les ustensiles, emporte-pièces et autres moules en silicone qui peuplaient ses placards, mais à ma manière et ça, c’était déjà pas si mal.


 

dimanche 15 novembre 2009

Chapitre 9 - Apprenons-Nous-



Dimanche 16 Août

En montant dans le train pour Paris, nous savions déjà qu’il faudrait s’accrocher pour avoir une place digne de ce nom. Bien sûr, on aurait pu se lever plus tôt et éviter de pénétrer dans la gare cinq minutes avant le départ. Tout ça, c’était la faute de Boris. Monsieur je prends des risques. D’habitude j’arrivais trente minutes avant histoire d’avoir le temps de feuilleter des magazines inutiles et d’observer la faune et la flore rouennaise. Dans ces cas là, je ne m’ennuyais jamais. Il y avait toujours un type un peu bizarre qui matait sans être trop discret et qui, ça m’était déjà arrivé de voir ça, se tripotait allégrement. Ou bien c’était une petite vieille qui lisait des choses de vieilles comme un article sur les tricots pour chiens (décidément les chiens devenaient presque de vrais êtres humains de nos jours) ou sur les solutions les plus efficaces pour lutter contre la couperose. Mais bon, pas le temps pour toutes  ces réjouissances aujourd’hui, pas le temps de faire un petit arrêt au zoo urbain, le train n’allait pas attendre après nous.

Et comme prévu, la bataille du rail fut plus que rude. Le train était au bord de l’implosion. Il nous fallut vingt bonnes minutes pour le traverser tout en enjambant valises, sacs et enfants pour finalement se poser là où tous nos espoirs résidaient, en première classe. L’élite avait encore de la place elle. Notre processus de meilleure connaissance de l’autre (ça faisait un peu colloque animé par une soixante-huitarde attardée) allait enfin pouvoir commencer. Plus de temps à perdre. Même 1h10 dans un train ferait l’affaire.

« Franchement, c’était vraiment sympa hier soir. T’as de la chance d’avoir des amis comme ça tu sais.
- Oui c’est clair. Mas t’as bien des amis toi aussi. Tu n’arrêtes pas de me parler de Virgil, il doit être important pour toi.
- Ce n’est pas pareil. Entre vous, il y a un truc vraiment particulier et puis c’est quand même dingue que vous habitiez tous dans le même immeuble. Le trip à la Friends naïvement j’imaginais ça juste à la télé.
- Ça ne s’est pas fait aussi facilement, il ne faut pas abuser. Et puis le père de Pierre est le proprio de l’immeuble donc ça aide un peu !
- C’était lui le premier à s’y installer ?
- Ouais. En même temps que Clara. En fait, ils étaient ensemble en emménageant. Puis ça a duré deux-trois mois je crois. Ils ont compris que eux deux ça allait pas donner grand-chose. Alors elle a déménagé pour l’étage en dessous.
- Et ça les dérangeait pas de vivre si près l’un de l’autre ?
- Ils se sont quittés en bon terme. Et oui ça peut arriver ! Ensuite j’ai emménagé au dernier étage. J’ai vite sympathisé avec Pierre. J’ai même vite fantasmé sur lui en fait.
- Tu ne peux vraiment pas t’en empêcher ! D’un autre côté j’avoue, il est plutôt craquant. Il y a surtout un truc avec ses cheveux. Je n’ai jamais vu d’aussi beaux cheveux.
- Ouais… Bref. Et puis une amie de Clara a emménagé au deuxième, juste en face de l’appartement de Pierre. L’amie en question c’était Norma. Elle était totalement folle, j’ai tout de suite adoré son personnage. Elle a emménagé avec un type elle aussi. Un pauvre type qui lui tapait sur la tronche quand elle ne faisait pas ce qu’il voulait.
- Putain. Je n’aurais jamais cru ça.
- Un jour en passant devant sa porte, je l’ai entendue pleurer alors j’ai frappé, elle m’a ouvert, le nez en sang. Elle venait de le foutre à la porte. J’ai donc passé la journée avec elle puis la soirée et la nuit.
- Et vous avez… ? Baisé ?
- Là ça fait vraiment trop série américaine. Mais non on n’a pas baisé. On est juste devenus inséparables. On a tellement traversé de merdes tous les deux, tu n’imagines même pas. Elle et moi, c’est à la vie à la mort, on en est certains.
- Et ça fait trois ans que vous vous connaissez c’est ça ?
- Ouais. Déjà trois ans.
- En vous voyant tous les deux on dirait que c’est depuis la maternelle. C’est fou.
- Et toi, Virgil, ça fait combien de temps que tu le connais ?
- A peu près sept ans. On s’est rencontrés en 3ème. Il débarquait de Rome où son père était ambassadeur. Il a passé son enfance à voyager. Je ne pourrais même pas te citer tous les endroits où il est allé c’est inimaginable. Et puis, de toute façon, il te le dirait certainement mieux lui-même.
- Et d’ailleurs, je vais le rencontrer un de ces jours ?
- Ben ouais je pense qu’il est à Paris là. On pourra le voir si tu veux. Et s’il peut surtout. Il est toujours overbooké ce mec.
- Et après Rome, il n’est plus allé nulle part ?
- Ses parents oui mais pas lui. Il a tout fait pour rester à Paris dans la maison de sa grand-mère. Il en avait marre d’être trimballé à droite et à gauche.
- Ouais ça ne doit pas être marrant pour se faire des potes. Mais d’un autre côté voyager dans le monde entier quand tu es môme ça doit être génial. Et donc, direct vous êtes devenus amis ?
- Ben on va dire que direct, on est tombés amoureux en fait. Mais c’est un peu compliqué…
- Pourquoi ? Vous êtes restés longtemps ensemble ?
- C’est là que c’est compliqué. On n’a jamais été vraiment ensemble. On a souvent couché ensemble mais c’est tout. Enfin… Oui c’est tout.
- Ouh la, ça m’a l’air spécial en effet. Et là t’es sûr que c’est bien fini ?
- Ben oui ! Tu crois quoi ? Que je préfère coucher une fois tous les trois mois avec mon meilleur ami plutôt qu’avoir une vraie relation avec quelqu’un. N’en doute pas Simon, ça ne sert à rien.
- Je n’en doute pas, je me renseigne. Nuance. Et tu n’as pas d’autres vrais amis ?
- Ben non. Je ne suis pas trop le genre à me confier facilement à des tas de gens. Beaucoup de gens gravitent autour de moi mais ce ne sont pas des amis. Tout au plus des connaissances. Genre André, Jean ou Samuel. Mais j’ai de plus en plus de mal à les supporter en fait. Ils sont affligeants ces mecs.
- Je ne vais pas te contredire. Chez Eléanore, je n’en pouvais plus de leurs bavardages sans intérêt. Eux c’est vraiment des clichés. »

Puis, comme pour me punir de passer un si bon moment avec le garçon que j’aimais, Elias est apparu. Pas physiquement bien sûr mais sur l’écran de mon téléphone. Une fois de plus. Je pensais naïvement qu’il avait réalisé que son trip je veux qu’on en discute ne mènerait jamais à rien. Je sentais mon téléphone vibrer. Il me semblait qu’il n’avait jamais vibré aussi fort. Un tremblement de terre dans ma poche. Je ressentais ses vibrations jusqu’aux tréfonds de mon corps. J’avais toujours mal.
« Tu ne réponds pas ?
- Non je ne préfère pas.
- Ah, c’est ton ex c’est ça ?
- Ouais. Je crois qu’il sait quand je passe de bons moments et qu’il met un point d’honneur à les saccager.
- Il a peut-être un truc important à te dire.
- Non je ne crois pas. Tous les trucs importants il les a déjà dits.
- C’est toi qui sais. Et tu ne veux pas m’expliquer brièvement ce qu’il s’est passé entre vous ? Histoire que ça soit fait et plus à faire.
- Je ne sais pas si c’est vraiment une bonne idée. Et puis parler à son copain de son ex j’ai jamais trouvé ça réglo.
- Je ne vais pas te rappeler la conversation de vendredi. Je veux te connaître alors s’il te plait donne moi cette chance. Je ne veux pas que tu rentres dans les détails. Loin de là. Juste que tu me donnes les clés pour mieux te comprendre, je sais que cette histoire t’a changé profondément alors c’est important pour moi d’en savoir un peu plus. Et puis, Norma me l’a confirmé hier soir.
- Vous en avez parlé ? Qu’est ce qu’elle t’a dit ?
- Elle m’a juste dit de faire attention à toi. Allez, raconte-moi Simon. S’il te plait. »

Alors j’ai raconté ce qu’il pouvait entendre. J’ai raconté cette soirée du 31 décembre 2008 où Elias, en vacances chez des amis à Lille, a rencontré une fille. Une fille à priori tellement magnétique qu’il a succombé et couché avec elle. Sans capote. Et comme souvent, quand il ne faudrait pas, ce fut le coup gagnant où tout le monde a perdu quelque chose. Les trois premiers mois, il fit comme si de rien n’était. Pour moi, il avait juste passé une super soirée avec ses meilleurs amis. Et puis, un jour, il a changé. Il était sur les nerfs, lunatique. Il partait souvent prendre l’air. Il ne voulait pas que je le suive. Et il m’a tout avoué. Le 29 mars. Il a pleuré. Je ne comprenais pas tout. Il avait peur. La fille ne voulait pas se faire avorter. Elle voulait s’installer à Rouen. Il me suppliait de lui pardonner. J’avais l’impression d’être dans la quatrième dimension. C’était possible ça dans le monde réel ? Il n’avait jamais été attiré par les filles. Je ne comprenais pas. Ma vie avait été plutôt belle jusqu’alors, pourquoi est ce que ça devait changer ? Alors j’ai pardonné. Et puis, me tromper avec une fille me semblait moins grave que si ça avait été avec un garçon. On a fait comme si de rien n’était pendant quelques temps mais plus le temps passait, plus je ne voyais pas comment on allait pouvoir faire concrètement quand cet enfant allait voir le jour. Chaque soir, je priais pour que la future mère tombe dans les escaliers histoire qu’elle perde son enfant. Je n’avais aucun scrupule. Un soir, il m’a annoncé qu’il avait réfléchi, qu’il voulait s’occuper du bébé, qu’il allait s’installer avec la mère et puis il a conclu en me disant « c’était bien mais c’est fini, désolé bonhomme. Faut qu’on grandisse maintenant ». Je ne comprenais pas du tout. Etre amoureux et pédé sans enfant ça voulait forcément dire être immature ? Alors j’ai hurlé, je lui ai jeté mon portable à la figure, il a saigné, j’ai jeté la plupart de ses affaires par la fenêtre. Elles flottaient dans le robec comme dans un roman de Maupassant. Il est parti. J’ai pleuré pendant des jours. J’ai pris beaucoup trop de médicaments. Je suis allé de moi-même aux urgences deux fois, sentant que j’allais lâcher prise. Je n’ai voulu voir personne. Pas même Norma. Je ne suis pas allé travailler jusqu’à la fin de l’année scolaire. Et l’été est arrivé, je suis parti dans de la famille en Bretagne et j’ai tenté d’oublier, de panser mes plaies. Et le reste, il le connaissait déjà.

« Ne pleure pas. Ça ne sert à rien. Ça va mieux là, je suis avec toi et tu me fais du bien.
- Désolé mais c’est tellement horrible ce qu’il t’a fait endurer. J’espère ne jamais avoir à le croiser, je lui foutrai mon poing dans la gueule, je te le promets.
- Je ne suis pas sûr que ça changerait quelque chose tu sais. Le mieux c’est de faire comme s’il n’existait plus. Ça n’est pas toujours facile mais c’est le mieux à faire.
- Ouais sûrement. Tu crois ça possible toi ? Surtout avec les messages qu’il continue à te laisser ? Je crois que tu devrais te débarrasser de ton portable. Le jeter.
- Quoi ? Mais je ne peux pas le jeter. Il y a toute ma vie dedans et puis je n’ai pas franchement de quoi reprendre un nouveau portable pour le moment.
- Une vie ça se reconstruit tu sais. On peut tout démolir pour mieux reconstruire. Et puis je peux t’avancer l’argent. Tu me rembourseras quand tu pourras. Je peux même t’en offrir un nouveau.»

Nous sommes arrivés à Paris/Saint-Lazare à 12h07. Pour une fois, le train n’avait pas de retard. Le ciel était dégagé, le soleil brillait. Un temps idéal pour l’exorcisme dont j’avais tant besoin. Un dernier regard à mon vieux portable, [ce que je pouvais être matérialiste des fois !] et je le jetai dans la poubelle près du Starbuck’s. J’avais envie de pleurer. Pas de la perte de ce téléphone mais d’une plus grande perte. J’aurais pu mettre la main dans cette poubelle pour le récupérer. Aucune poubelle, aucune décharge n’était assez grande pour récupérer ce pan de vie qui disparaissait. Boris passa ses bras autour de ma taille et m’embrassa tout doucement. Le soleil me chauffait les joues. Ou bien était-ce l’amour ? Je ne savais pas trop à dire vrai. Une immense vague de chaleur m’envahit.
Je pleurais et j’étais bien.


dimanche 8 novembre 2009

Place de la Pucelle, un vendredi...




Chapitre 8 -Juste une mise au point...-


 

Vendredi 14 Août


 J’avais réussi non sans avec un certain brio à contourner les difficultés toute la journée. Dés que Boris me relançait sur le sujet de lui et moi, je le regardais et souriais assez bêtement je dois dire. J’espérais qu’il interprétait mon regard de la bonne façon c'est-à-dire « mais tu n’y penses pas ! C’est beaucoup trop tôt grand fou va ! » car c’était bel et bien ce que je pensais avec en plus une petite pointe de « tu veux tout foutre par terre ou quoi ? » mais ça je le gardais pour moi, pour le lui faire comprendre il aurait fallu que je fasse un ou deux gestes qu’il aurait peu appréciés. Nous avions passé la journée à rêvasser au soleil allongés sur des transats dans les jardins de l’Hôtel de ville puis nous étions allés siroter des diabolos cassis place de la Pucelle tout en feuilletant des magazines hors de prix remplis de publicités. Je ne laissais pas transparaitre mes craintes mais à l’intérieur, ça se bousculait. J’étais un Trivial Pursuit sur pattes avec plus de questions que de réponses. Il voulait qu’on se pacse ? Il voulait vivre où ? J’allais devoir quitter mes amis ? Mon travail ? J’allais devoir demander une autre affectation ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? C’était surtout ça qui me turlupinait, pourquoi s’était-il senti obligé de me demander un tel truc après seulement une semaine ? Il était kamikaze ou quoi ? Puis après quelques courses au Monoprix, nous étions rentrés tranquillement main dans la main. Sa main tenant fermement la mienne comme s’il sentait que des doutes m’assaillaient. Des regards amusés ou gênés se posaient parfois sur nous, il y avait bien longtemps que je n’y prêtais plus attention.

« Ce soir c’est moi qui fait à manger si ça ne te dérange pas.
- Pas de problème. Tu vas t’y retrouver dans ma si grande cuisine ?
- Ça devrait aller ! Si je ne m’en sors pas je crierai à l’aide.
- Oui enfin tu sais, ici c’est un peu comme dans Alien, dans ma cuisine personne ne t’entendra crier.
- Je t’ai déjà dit que j’aimais vivre dangereusement. Tu t’en souviens ? J’aime les risques, les frissons que provoque l’inconnu, si tu vois ce que je veux dire…
- Non je ne vois pas. Eclaire donc ma lanterne.
- Tu vois très bien où je veux en venir. Bref, passons, je n’ai pas envie de me prendre la tête ce soir.
- Non on ne va passer. On va en discuter tout de suite sinon je crois que ça va pourrir quelque chose et je n’en ai vraiment pas envie. Je vais te dire clairement ce que j’ai à dire et tu en feras de même. Ok ?
- Voilà ce que j’attendais ! Vas-y je t’écoute. »

A cet instant précis [19h42 à l’heure de mon magnétoscope], je me sentais tel Jeanne d’Arc face à ses juges. J’avais peur de passer pour le fou de service, le phobique de l’engagement comme on entendait souvent dans les séries américaines, le type qui ne voulait surtout pas le moindre petit tsunami émotionnel dans sa petite vie bien ordonnée. Ce n’était pas du tout ça, j’allais devoir le faire comprendre à Boris sans risquer de finir une fois de plus sur le grand bûcher des célibataires. Il s’assit face à moi et me sourit. Pour une fois dans ma vie, j’allais devoir dire ce que j’avais sur le cœur sans tenter d’arrondir les angles, sans chercher à être arrangeant avec toutes les parties. J’allais en fait juste devoir grandir. Et tout le monde le sait, grandir, ça fait mal.

 « Alors je t’écoute mon chéri.
- J’ai eu beau tourner le problème dans tous les sens…
- Quel problème ? Où est ce que tu as vu un problème ?
- Cette idée de vivre ensemble. De s’installer, d’être un vrai couple. Au bout de seulement quelques jours. S’il te plait ne commence pas à me couper la parole…
- C’est un problème pour toi ? Tu m’as encore dit ce matin que t’avais l’impression de me connaître depuis des siècles.
- Tu sais bien ce que ça veut dire. Ce n’est pas parce que j’ai cette impression que forcément ça fait des siècles qu’on vit ensemble. Ne joue pas sur les mots Boris.
- Je ne joue pas sur les mots, j’ai juste l’impression que tu te fous de ma gueule. Tu ne m’aimes pas ?
- Putain ! Mais qu’est ce que tu me fais là ? Tu mélanges tout ! Ce n’est pas parce que je ne veux pas vivre avec toi pour le moment que je ne t’aime pas. C’est trop tôt c’est tout. Tu comprends ce que je veux te dire ?
- Non. Je ne comprends pas vraiment.
- Fais un effort. Ne fais pas ton enfant gâté. J’ai déjà vécu avec quelqu’un, je sais comment ça se passe. Je suis déjà passé par tous les stades de la vie en couple.
- Je m’en fous de ta vie passée. De ton ex. C’est de moi, de nous qu’il s’agit là !
- Je ne te parle pas de mon ex, je t’explique juste comment ça va se passer. Il va y avoir l’euphorie. Allez, pendant neuf mois environ, on sera fusionnels, on ne sortira pas, on ne fera rien l’un sans l’autre. On se couchera ensemble, on se lèvera ensemble, on se douchera ensemble, on mangera ensemble enfin bref, tu vois le topo. Puis viendront quelques mois de transition où évidemment, on sera toujours accrochés l’un à l’autre mais insidieusement, la routine s’immiscera, nous envahira. L’un se couchera avant l’autre, tu voudras voir tes amis tout seul ou ça sera moi…
- Arrête. Je ne veux pas en entendre plus. Ne me fais pas croire que ce schéma est obligatoire et se répète pour tous les couples. C’est des conneries tout ça. T’as juste peur, c’est tout.
- Oui c’est vrai j’ai peut-être peur mais surtout, je ne suis sûr de rien. Ne le prends pas mal mais es tu sûr à 100% de notre couple toi? Ce que je veux dire c’est qu’on s’installe avec quelqu’un quand on sait un peu comment l’autre fonctionne histoire de ne pas avoir de trop mauvaises surprises. Je ne sais pas grand-chose de toi Boris. Et tu peux en dire autant de moi. C’est vrai oui ou non ?
- Ce qui est vrai c’est que tu vois toujours tout en noir. Tu te gâches l’existence Simon. Vivre ensemble c’est pour moi une chance d’apprendre à se connaître.
- C’est surtout brûler les étapes. Je ne veux pas aller plus vite que la musique. Je t’aime, je veux avancer avec toi mais je ne veux pas tout compromettre juste sur un coup de tête. Si je dis non maintenant, je ne le dirai pas forcément dans six mois. Ou un an. Accorde nous du temps.
- Alors on va continuer à être soit chez l’un soit chez l’autre ? Ce n’est pas une vie pour moi.
- C’est juste un début de vie à deux. Ensuite on verra. Ne gâchons pas tout, c’est trop important. »

Puis la discussion a continué jusque tard ce soir-là. Quelque chose avait changé en moi et je ne pouvais m’empêcher de penser que si j’avais été aussi franc avec Elias nous n’en aurions peut-être pas été là désormais. Je réalisais les bienfaits d’une relation adulte et franche tout en espérant secrètement que mon côté enfant ne partirait jamais trop loin. Je promis à Boris de reconsidérer son offre dans quelques mois et lui, de son côté, me jura d’être plus patient. Tout semblait à nouveau idyllique et digne d’une romance hollywoodienne, les brushings impeccables en moins. Nous scellâmes ce pacte par un long et fougueux baiser puis nous fîmes l’amour. Longtemps. Intensément. Dans la moiteur de ma chambre, nos corps entremêlés ne voulaient plus se séparer. Nous avions besoin l’un de l’autre, besoin de sentir chaque centimètre carré de nos peaux. J’étais à Lui. Il était à Moi. Nous n’étions qu’un malgré nos appartements respectifs, malgré nos deux vies dans deux villes séparées par des kilomètres et des kilomètres et, puis aussi malgré ce petit morceau de caoutchouc entre nous. Petit morceau qui bientôt ne serait plus qu’un lointain souvenir puisque, premier pas pour mieux nous connaître, nous avions décidé deux heures auparavant de faire un test VIH le plus tôt possible.