vendredi 25 décembre 2009

Chapitre 16 - Enterrons Tout ça Aître Saint-Maclou-



Vendredi 28 Août

«  Coucou.
- Oh, ça y est, tu es rentrée ?
- Oui, oui, à l’instant. Je viens de trouver ton petit mot.
- Ok. Et c’était bien alors ?
- Oui, c’était cool. Tu me laisses une petite heure et ensuite on va faire un tour et discuter ?
- D’accord. Tu ne m’en veux pas trop alors ?
- On en discutera dans une petite heure. A tout à l’heure darling. »

Je devais bien avouer qu’après la semaine que j’avais passée, je n’avais pas eu trop le temps de stresser en prévision de mon entrevue avec Norma. Et j’avais le pressentiment que ça allait plutôt se passer en douceur. Il était évident qu’on avait besoin de parler, franchement, sérieusement, comme deux adultes que nous étions. L’abcès avait besoin d’être crevé. Bon, après, il ne fallait mieux pas que je rejoue à l’égoïste de service parce que j’en prendrais pour mon grade. Son ton au téléphone était plutôt froid mais elle avait conclu par un darling qui ne trompait pas. Quand elle était vraiment fâchée, Norma m’appelait toujours Simon.

« On va se poser à l’aître Saint-Maclou ? Ça te dit ?
- Oui, carrément ! Ça fait longtemps que je n’y suis pas allé en plus ! Reste à espérer qu’il n’y ait pas trop de touristes. On a peut-être une chance vu l’heure qu’il est. Franchement, je tiens encore à m’excuser d’avoir été aussi peu présent pour toi... Je m’en veux, tu sais.
- A en juger par les messages que tu m’as envoyés, oui, j’ai cru le comprendre. Je t’avoue que ça m’a un peu blasée. Je n’ai pas très bien compris pourquoi d’un coup j’avais plus de nouvelles. J’ai cru que tu me faisais la gueule même si je ne voyais pas trop pour quelle raison. Et t’as changé de portable alors ?
- Ouais. Enfin, j’ai jeté mon ancien portable histoire de ne plus avoir de coups de téléphone d’Elias.
- Radical. Mais bon au moins ça a le mérite d’être efficace.
- Ouais, si on veut. Il s’est quand même pointé chez moi dimanche dernier.
- Non ? Et t’as fait quoi ? Tu lui as ouvert ? Comment ça s’est passé ?
- Je te raconterai une fois qu’on aura mis les choses au clair, autant faire les choses dans l’ordre.
- Non vas-y raconte. Il voulait quoi ? T’as dû trop te sentir mal.
- J’étais plutôt dans un sale état c’est clair. Il voulait me donner un truc et récupérer sa cafetière.
- Fausse excuse. C’est bidon. Il est bidon ce type. T’as pas craqué au moins ? En mode pauvre petite chose.
- Entre deux sanglots, j’étais plutôt glacial mais il s’est quand même excusé. Il voulait revenir. Son gamin est né. Il ne peut pas assumer. Il ressemble à un zombie, je te jure. Effrayant.
- Ah ouais ? Du genre maigre et pâle ?
- Ouais. Maigre, sale, pâle. Pas le type sexy du début. Et donc il a essayé de s’excuser, je l’ai écouté et j’ai refermé ma porte, pour mieux m’écrouler. Je ne pouvais plus m’arrêter de pleurer. Et pourtant, je t’assure, dimanche, j’étais en forme, j’avais même fait le marché.
- Merde, j’ai loupé ton petit sursaut forme et santé de l’année. Je le vis mal.
- Non, plaisante pas, je vais essayer d’y aller plus souvent. C’est vraiment enthousiasmant.
- Enthousiasmant. Tu n’as pas un mot encore plus vieillot ? Je te connais Simon. Quand tu te seras couché à pas d’heure parce que t’auras fait la fiesta le samedi soir, t’auras pas franchement la motiv’ pour aller au marché.
- On en reparlera. Je suis un homme nouveau désormais !
- Ah oui, c’est vrai, j’avais oublié ! Tu me fais trop rire Darling. Et avec Boris alors, c’est toujours l’amour fou ?
- T’aimerais que je te dise non, que ça va mal ? Avoue garce ! Ben non ça va super bien et d’avoir vu Elias, ça m’a fait réalisé qu’en fait je tenais vraiment à Boris et que je voulais qu’on vive ensemble.
- Hein ? Attends, je ne capte pas là... Il y a encore quinze jours, tu étais contre cette idée, tu voulais y aller mollo.
- Ouais, ben voir Elias m’a fait réaliser le contraire et puis comme on dit, y’a que les imbéciles qui changent pas d’avis donc bon...
- Et tu vas lui proposer quand alors ?
- Déjà fait. Je lui ai demandé dimanche, dans la foulée. Il a pas bien compris non plus. Il croyait que je lui faisais une vieille blague dont j’ai le secret. Mais il a fini par dire oui. Pour lui, c’était Noël avant l’heure, il était trop content.
- C’est génial. Enfin, sur le papier ça semble génial mais concrètement, ça va se passer comment. Lui à Paris et toi ici ?
- On ne sait pas encore très bien mais ce qui est sûr c’est que lui n’est pas contre venir s’installer à Rouen.
- Il va abandonner son palais parisien ? Quel dévouement ! C’est cool pour vous en tout cas. Si c’est ce que vous voulez vraiment, c’est cool.
- Ben oui c’est ce qu’on veut, tu insinues quoi ?
- Rien, rien. J’espère juste que vous y avez bien pensé.
- A dire vrai, j’en ai marre de réfléchir à tout ces derniers temps. Envie d’arrêter de me mettre tout seul des bâtons dans les roues. Je suis heureux avec lui alors j’en profite. Carpe diem comme on dit. »

Voilà, nous y étions. L’entrée de l’Aître Saint-Maclou. J’aimais infiniment cet endroit qui abritait l’Ecole des Beaux Arts de Rouen. C’était une vieille cour encerclée d’un bâtiment à colombages gravés d’ossements et de crânes. Et je crois que mon petit côté fan de Tim Burton y trouvait son compte. Comme nous le craignions, il y avait encore beaucoup de touristes et un guide racontait dans un mauvais accent anglais l’histoire trouble de ce lieu. Traversant la foule compacte de vieux touristes ‘embermudés’ qui nous offraient le spectacle morose de leurs jambes dodues, pâles et variqueuses, nous nous installâmes sous les arbres plantés au milieu et notre discussion pouvait reprendre de plus belle.

 « Et toi alors ? Raconte un peu ! Parce que depuis tout à l’heure, je parle de moi mais toi, comment ça s’est passé chez ton frère ?
- Oh tu sais, pas grand-chose à raconter. J’ai pris le soleil au bord de la piscine comme je l’avais prévu. On a fait des barbecues, on a bu du rosé et voilà ! Ah oui, on est allé au ciné aussi.
- Et ton frère va bien ?
- Ouais, tranquille. Mon frère quoi ! Le mec qui ne se prend jamais la tête. Ça fait du bien de traîner avec des gens pas compliqués.
- Bizarrement, je la prends un peu pour moi cette phrase.
- Mais non darling, qu’est ce que tu vas imaginer ?
- Et vous avez vu quoi au ciné ?
- Transformers 2. Ahahaha. Si t’as pas envie de réfléchir, faut vraiment que tu ailles voir ce film.
- Oui je sais, on l’a vu aussi avec Pierre. Et G.I. Joe aussi. On s’est fait une journée films de merde.
- Des fois ça fait du bien. T’as vu Pierre un peu alors ?
- Un peu, beaucoup même. J’ai passé toute la semaine avec lui pour ainsi dire. Lundi, on est allé se balader à Etretat. Mardi, on est allé à la plage à Villers. Mercredi, c’était cinéma et resto. Et hier, je l’ai aidé à emballer ses dernières affaires. C’était cool de passer du temps avec lui.
- Faut que j’essaye de le voir ce soir. Et ça va ? Il est content de partir ?
- Carrément, il trépigne d’impatience même. Ça va faire tout drôle sans lui, tu ne crois pas ?
- Grave. Il va y avoir un gros vide. Mais on essaiera d’aller le voir là-bas. En plus, j’y repensais la dernière fois mais il va y avoir un nouveau locataire puisque son appart va se libérer. Faut qu’on ait un droit de regard. Histoire qu’on ne se ramasse pas un vieux cassos.
- Ouais, faudrait pas briser l’harmonie de notre immeuble parfait ! Ah au fait, tant que j’y pense, réserve ton samedi 12.
- Pourquoi ? Tu vas faire un truc pour ton anniversaire ?
- Exact ! Une bonne soirée. Et comme ça, je pourrai te présenter les gens que j’ai rencontrés à Paris. Tu vas voir, ils sont super sympas.
- Tous des gays j’imagine...
- Il y en a un qui ne sait pas trop mais sinon les autres oui. Ben tu sais, c’est le guitariste qu’on avait vu à Beaubourg !
- Ah oui, ça me dit quelque chose. Il était plutôt mignon non ?
- Ben ouais. Mignon et vraiment adorable.
- Dommage je les aime un peu méchants. Mais faut voir. Et je peux te dire que quand il verra mes seins il va vite savoir !
- T’es bête. Il est au-dessus de ça je crois.
- Et c’est quoi son petit nom à Mr Je ne sais pas trop ?
- Thad. Ouais, je sais ce n’est pas courant.
- C’est le moins qu’on puisse dire, ils avaient fumé quoi ses parents ?
- Il est américain. Il vient de l’Utah.
- Ah ok ! Et il est mormon ?
- Bonjour les clichés ! Non, il n’est pas mormon.
- Et Boris alors ? Tu le vois quand ? Pourquoi il n’est pas déjà arrivé sur son beau cheval blanc ?
- Ouh la, t’es en forme toi ! Cinq jours chez ton frère et tu es au taquet ! J’ai trop l’impression que tu ne l’aimes pas beaucoup Boris en fait.
- Tu te trompes. C’est juste qu’il est un peu trop parfait pour être honnête c’est tout. Les contes de fée, même gamine, moi je n’y croyais pas.
- Il est loin d’être parfait. Ah mais attends, j’ai oublié de te raconter le gros scoop de ces derniers jours !
- Quoi ? En fait, avec Eléanore, ils sont trois et le deuxième frère est hétéro et il meurt d’envie de me rencontrer ? Dis-moi que c’est ça !
- T’es vraiment une crevarde. Il est temps que tu baises un coup je crois.
- Ah mais c’est ça que je ne t’ai pas dit ! Moi aussi, j’ai un scoop ! Comment j’ai pu oublier de te dire un tel truc ? Bon, qui commence là ? Enfin ça devient intéressant !
- Vas-y, toi d’abord ! Mais j’avoue que je crains le pire !
- Je t’ai déjà parlé de Justin ? Tu sais le mec que j’avais rencontré au Vicomté au mois de mai ? Un grand blond/brun, über-craquant.
- Ouais peut-être... Ça me dit trop rien mais faut dire qu’en mai, j’étais un peu ailleurs. Et donc ?
- Ben, il m’a appelé mercredi soir pour prendre de mes news. On a discuté pendant une heure peut-être et il aimerait bien me revoir, figure-toi !
- Waouh ! Il s’était passé un truc en mai ? J’avoue que je me souviens plus de lui. T’es sûre de m’en avoir parlé ?
- Ben oui je crois. On s’était juste embrassé mais je mettais ça plus sur le compte de la quantité industrielle de champagne qu’on avait ingurgitée.
- Tu le vois quand alors ?
- La semaine prochaine ! J’ai trop hâte !
- J’imagine.
- Si ça se trouve, il y aura un invité de plus à ton anniversaire ! D’ailleurs faut que je pense à m’épiler.
- Ouais depuis le temps qu’il s’est rien passé par là, ça doit être la jungle avec toucans et ouistitis inclus !
- Peut-être pas quand même mais pas loin. Il manque juste les toucans. Bon et toi alors c’est quoi ce méga scoop ?
- La dernière fois chez Boris j’ai découvert un truc de fou. Un truc que t’imagines pas deux secondes quand tu le vois.
- Quoi ? Une pièce secrète remplie de godes, de fouets et de menottes ? Enfin il devient intéressant !
- Mais non ! Il adore faire la cuisine. Chez lui, c’est la caverne d’Ali Baba ! Dément.
- Gé-nial. Je t’avoue que je m’attendais à autre chose. Il a le droit d’aimer faire la cuisine. Et puis il n’y a pas que les gros joufflus qui ont le droit d’aimer ça. Ça aussi c’est un peu cliché
- Non, t’as pas compris. Tu aurais vu ce que j’ai vu, c’est au-delà de ça. Il a au moins une centaine de bouquins. Et il a même des ustensiles dont je ne soupçonnais même pas l’existence ! Tu sais ce que c’est toi une corne de pâtissier ? Ou bien une toile Silpat ? Il a tout chez lui. Tout !
- Ben c’est cool ! Il va pouvoir nous faire plein de trucs bons à manger !
- Ben c’est là que ça coince ! A force que sa famille et son entourage lui répètent que faire la cuisine n’est pas un truc digne et respectable, Boris bloque et ne veut plus en entendre parler. J’aimerais tellement qu’il fasse ce qu’il a envie et qu’il se lance à fond dans cette passion. Je l’imagine bien ouvrir un resto ou un truc du genre. Pas toi ? Genre dans le local à louer dans notre rue.
- Ben oui c’est une bonne idée. Mais c’est peut-être juste une passion. Est-ce qu’il veut en faire son métier ?
- Je ne sais pas trop. J’essaye d’en parler avec lui mais c’est compliqué.
- Bon et tu le vois quand alors ? Pourquoi il ne vient pas ce week-end ? Histoire que je trouve ses défauts.
- Il va venir le week-end prochain. Il doit voir son père avant et son meilleur ami aussi. D’ailleurs lui, il me déteste.
- Pourquoi ? Tu te fais certainement des idées.
- Au départ, c’est ce que je croyais mais il l’a clairement dit à Boris. Il lui a dit qu’il ne me sentait pas et que j’avais l’air faux. Je ne comprends pas trop.
- Ça doit être un truc de meilleur ami cherche pas. On aime bien prendre un malin plaisir à détester vos amoureux.
- Quoi ? Ça veut dire que tu détestes Boris ?
- Mais non, je déconne ! Tu démarres toujours au quart de tour toi ! Relax ! »

Et ainsi de suite notre conversation a continué. Il n’y a avait plus de reproches, plus d’amertume. Y’en avait-il seulement eu ? J’avais tout juste l’impression d’avoir fait un mauvais rêve. J’avais imaginé un règlement de comptes, une dispute, des mots plus hauts que d’autres puis une réconciliation pour finir. Mais rien de tout ça. Juste une conversation entre deux amis qui tiennent l’un à l’autre. Une conversation comme on en avait déjà eu des dizaines, des centaines peut-être. C’était ça en fait la seule vraie définition de l’amitié. Ce que Norma n’avait pas aimé c’était le fait d’être laissée de côté pendant quelques jours, d’être déconnectée de moi. Pas besoin de se prendre la tête, il suffisait juste de donner des nouvelles, de rebrancher quelques fils.
En fin de journée, alors que les touristes de toutes nationalités quittaient ce lieu magique et intemporel, Norma et moi sommes restés assis. Elle a fini par poser sa tête sur mes épaules. Puis plus un mot, plus un bruit. A peine le murmure imperceptible des feuilles caressées par le vent.






dimanche 20 décembre 2009

Chapitre 15 - Un Fantôme à ma Porte-



Dimanche 23 Août


Au beau milieu de la nuit et histoire de ne pas être brisé en mille morceaux le lendemain matin, j’ai quitté mon canapé pour retrouver le confort de mon lit. Il n’avait pas été fait depuis que Boris avait dormi dedans et j’avais l’impression que je pouvais encore sentir sa présence. J’avais envie qu’il soit là, qu’il se colle à moi comme il aimait faire, comme si nous étions deux pièces d’un seul et même puzzle. J’ai ouvert la fenêtre, la pluie avait cessé, il faisait plus frais et respirable et, pour ne pas être réveillé par un David Bowie en manque de lait dès 7h du matin, j’ai fermé la porte.


A mon réveil, le soleil était revenu. Une brise plus que bienvenue caressait mon visage. J’entendais le chat gratter à la porte et émettre de petits cris plus proches du roucoulement de mécontentement que d’un miaulement franc et félin. Je m’en fichais, j’étais dans mon lit et je me sentais protégé. J’allais tout faire pour que cette journée ne ressemble pas à celle de la veille. Aujourd’hui, pas de prises de tête [il fallait donc que je reporte encore une fois l’appel à ma mère] et puis j’allais laisser Norma tranquille, elle reviendrait bien à un moment ou à un autre. Quel optimisme débordant ! Je m’épatais. J’allais aller au marché place Saint Marc aussi. J’avais envie de légumes et de fruits colorés. Je voulais de la couleur dans mon frigo ! Des poivrons rouges et verts, des aubergines bien violettes [même si je déteste les aubergines], des pêches, des fraises. Et enfin, j’allais me mettre à réfléchir à mes cours et j’allais préparer des exercices sur les sujets les plus passionnants, les plus glamours, les plus excitants qui soient ! Les modaux et le present-perfect ! Quelle belle journée je me préparais ! Le tout saupoudré de musiques qui réveilleront mon côté Kamel Ouali. Un peu de Lady Gaga, du Katy Perry et quelques notes de Madonna. Bon, pas de la musique très virile mais ça avait au moins le mérite de me mettre de bonne humeur. Allez, assez rêvassé à ce réjouissant programme, autant le mettre en pratique. Un bon café, une bonne douche et c’était parti ! Et puis, à quoi bon attendre pour bouger mon corps, j’allais illico mettre du Lady Gaga. Rien de tel que LoveGame et Poker Face pour me faire sourire. Je suis un petit gars simple en fin de compte !


En revenant du marché, je me sentais un homme accompli. J’avais acheté des choses saines, j’avais un petit-ami parfait, des amis que j’aimais et qui m’aimait [je vous entends faire des commentaires...]. C’était toujours la même histoire dès que j’allais faire le marché. Où était le grain de sable qui allait bousculer ce bel équilibre ? Je n’étais pas du genre à prendre cette tranquillité de l’esprit pour argent comptant, ça aurait été beaucoup trop simple... Et ce qui devait arriver arriva en début d’après midi lorsque la sonnerie de mon interphone me fit sursauter. Qui pouvait bien venir me déranger un dimanche vu que toutes les personnes que j’aurais pu voir habitaient le même immeuble que moi ? Je me pris soudainement, et ce pendant quelques secondes, à rêver que c’était Boris. Une visite surprise. Je m’imaginais déjà lui cacher ma joie et mon amour pour juste jouer le chieur de service lui reprochant sa venue et son manque d’indépendance vis-à-vis de moi. En m’approchant de la fenêtre pour vérifier l’identité de mon visiteur, je sentais tous ces espoirs bouillir en moi. Malheureusement ce que je vis ne fut pas Boris. Loin de là. Ce que je vis me glaça le sang. Je venais de voir un fantôme du passé. Mon seul et unique fantôme en fait. C’était Elias. En espérant qu’il ne m’ait pas vu, je m’écartais de la fenêtre et me baissait contre le mur. Dix mille idées se bousculaient en moi. J’avais envie d’appeler Norma, Pierre ou Clara au secours. Et c’est là qu’il a parlé, qu’il a crié mon nom. Les mains sur la bouche, j’essayais de n’émettre aucun son. Je sentais les larmes monter en moi. J’étais absolument et irrémédiablement pitoyable.
« Simon. Ouvre-moi Simon. Je sais que t’es là, je t’ai vu. »
Je ne pouvais pas bouger. J’avais naïvement cru que j’étais immunisé contre lui désormais. Je m’étais trompé. J’étais plus que jamais malade de cet amour qu’il avait inoculé en moi.
« Simon, je ne bougerai pas tant que tu ne te seras pas montré. J’ai un truc pour toi et je voudrais récupérer encore une ou deux affaires. A toi de voir. Si tu préfères que je gueule dans la rue, c’est comme tu veux. »
Puis j’ai entendu la fenêtre du dessous s’ouvrir. C’était Pierre. Mon garde du corps. Mon ange gardien. Comment vais-je faire quand il sera parti ?
« Qu’est ce que tu veux ?
- Oh salut Pierre ! Je veux juste voir Simon. Un truc à lui donner. Tu vas bien ?
- Et tu crois vraiment qu’il a envie de te voir ? Non mais sincèrement ? Et surtout tu penses que tout le quartier a besoin de t’entendre ?
- Tout ce que je sais c’est que ce ne sont pas tes oignons. C’est entre Simon et moi.
- Simon est mon ami. Ce sont donc un peu mes oignons. Tu veux que je descende ou quoi ? »
Je sentais le ton monter et comme je n’étais pas une princesse moyenâgeuse pour qui deux preux chevaliers se battaient, je ne pouvais pas trop les laisser se taper sur la gueule. Je pris donc mon courage à deux mains et me montrai à la fenêtre.
« C’est bon Pierre. Je te remercie.
- T’es sûr ? Parce que je veux bien descendre moi.
- Non, non je t’assure. Merci beaucoup.
- Bon, ok mais si t’as besoin tu sais où me trouver. Et toi, fais gaffe que je ne te croise pas un de ces quatre !
- Qu’est ce que tu veux Elias ?
- Je t’ai dit, juste te donner un truc et récupérer quelques affaires. Je peux monter ?
- Non, je ne pense pas.
- S’il te plait, juste deux minutes...
- Non Elias. Même deux minutes.
- Je ne vais pas bouger de là alors. Je m’en fous, il fait beau et j’ai amené un bouquin.
- Non s’il te plait. Arrête. C’est fini là... Bon, ok monte. Mais deux minutes. Et, je te préviens tu restes sur le palier. »
Ce que je pouvais être faible des fois. Je l’entendais monter les escaliers. Plus que quelques marches et il allait être face à moi. Vu de mon troisième étage, il semblait avoir changé. Ça faisait quatre mois que je ne l’avais pas vu. J’avais peur.
« Salut. Tu vas bien mon grand ?
- Déjà, épargne-moi les mots gentils et dis-moi plutôt pourquoi tu insistes autant. Je suis à bout là.
- Excuse-moi. Je voulais juste t’offrir ça, ce n’est pas grand-chose. Et puis j’aimerais reprendre ma cafetière aussi.
- Je ne veux pas de ton cadeau. T’as plus rien à m’offrir, c’est fini cette époque. Et pour ta cafetière, elle est foutue. Ça fait presque un mois maintenant. Bon c’est tout ? »
J’essayais d’adopter le ton le plus froid que je pouvais. J’avais envie d’être un iceberg en cet instant, j’étais tout juste de la glace pilée. Et pourtant, je n’avais aucune compassion à avoir même si, clairement, il faisait peine à voir. Il avait perdu une bonne dizaine de kilos. Il avait l’air blafard. Des cernes, les cheveux gras, débraillé. Il était l’ombre de lui-même.
« Je ne voulais pas en arriver là tu sais.
- Oh s’il te plait, ne me ressers pas ce couplet. Tu m’as laissé tomber comme une pauvre merde. Tu m’as plaqué pour aller élever un gamin avec une fille que tu connaissais à peine. Maintenant, j’essaye de passer à autre chose alors s’il te plait dégage. Les deux minutes sont passées.
- Il est né au fait. Il y a une semaine. Un peu en avance.
- Je m’en fous. Je devrais me réjouir et te féliciter en te disant que tu vas être le meilleur des papas ? Va t’en je t’ai dit !
- Depuis sa naissance, je n’ai pas revu Béatrice. Je n’y arrive pas. J’ai merdé, je le reconnais. Le truc c’est que j’ai encore besoin de toi Simon. Depuis que je suis parti, je n’arrête pas de penser à toi.
- Mais attends ? J’entends bien là ? Tu regrettes et tu reviens la queue entre les jambes ? Et tu crois que je vais t’accueillir les bras ouverts ? Je fais en sorte que tu ne sois plus rien pour moi Elias. [les larmes montaient encore une fois, je n’arrivais pas à les stopper] J’ai rencontré quelqu’un d’autre que j’aime et qui lui, ne me fera jamais le coup de pute que tu m’as fait. Pars maintenant.
- Non, je ne veux pas. Tu ne peux pas m’avoir déjà oublié, déjà remplacé. Tu ne te souviens pas de tout ce qu’on a vécu ensemble ?
- T’as tout détruit quand t’es parti, fallait y penser avant et toi aussi, tu m’as remplacé avec cette fille et son chiard je te signale.
- Je ne sais pas ce qui m’a pris. On peut tout recommencer si tu veux. Moi je le veux en tout cas. Je ne te quitterai plus jamais. T’as vu à quoi je ressemble depuis que tu n’es plus dans ma vie ?
- C’est trop tard Elias. Je ne vais pas reculer parce que tu me le demandes. J’ai voulu mourir quand tu es parti, tu m’as fait trop mal. Alors c’est trop tard. »
Puis j’ai fermé la porte et me suis effondré, contre la porte, seul rempart entre lui et moi. Je l’entendais pleurer lui aussi. Il continuait à parler, je ne voulais pas l’entendre. Puis, au bout d’un long moment, il est parti.
« Je laisse ton cadeau devant la porte. C’est un cd. Le nouveau Regina Spektor. Je sais que tu l’aimes bien cette chanteuse. Si tu ne veux plus me parler, c’est ton choix mais écoute au moins la chanson 9, elle me fait tellement penser à toi. Je t’aime Simon. Je suis sincèrement désolé. »


Longtemps, je suis resté dans la même position. Incapable de bouger. J’aurais voulu que Norma soit là. Que Boris soit là aussi. Mais est-ce que je l’aimais vraiment ? Ou bien Elias... Je ne voulais plus souffrir. Etre amoureux était la pire chose qui aurait pu m’arriver. J’étais devenu vulnérable, faible et sans aucune confiance en soi. Peut-être devrais-je tout arrêter avant qu’il ne soit trop tard ? Je n’arrivais plus à me souvenir du goût des lèvres d’Elias. Je connaissais encore le toucher de ses mains sur ma nuque mais c’était tout. J’avais du mal à respirer, à reprendre mon souffle entre deux sanglots. Puis on frappa à la porte. Il était plus ou moins 18h. Est-ce qu’il était revenu ? Est-ce que je devais lui ouvrir et l’embrasser pour retrouver son goût ? Ou bien était-ce vraiment fini ?


« Ouvre-moi Simon. C’est moi, c’est Pierre.
- Je ne suis pas sûr d’être en état là. Ça ne va pas. Tu peux revenir plus tard s’il te plait ?
- Tu m’as vu dans des états pas terribles également. Dois-je te rafraîchir la mémoire ? Je comprends si tu ne veux pas ouvrir mais si c’est le cas, je vais rester derrière la porte et on peut parler comme ça si tu veux.
- Bon, attends, laisse-moi deux petites minutes alors... »


« Merci beaucoup d’être resté avec moi. C’est adorable.
- Ne me remercie pas, c’est normal. T’aurais fait pareil je crois. J’imagine ce que ça peut t’avoir fait de l’avoir revu. Tu sauras au moins qu’il ne faut plus lui ouvrir ta porte maintenant.
- Ouais sans doute.
- Et puis maintenant que tu as Boris, à quoi bon te compliquer la vie ? Elle n’est pas déjà assez prise de tête comme ça ?
- Tu sais, je dois t’avouer que quand Elias est parti, je me suis demandé si je n’aurais pas dû l’embrasser une dernière fois. Et maintenant, j’ai honte vis-à-vis de Boris.
- Simon, dans la vie tout n’est pas toujours tout blanc ou tout noir. Je sais que je fais de la philosophie à deux balles là mais rien n’est jamais simple. Tu crois que quand je passe à côté du rayon alcool au supermarché je n’ai pas envie de m’y arrêter, de prendre une bouteille, de l’acheter et d’y goûter histoire de retrouver le goût que j’ai tant aimé. C’est la même chose pour toi. Et même si j’ai beau, faire style tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, c’est faux. Je vais mieux depuis que je ne bois plus, ça c’est sûr et pourtant, des fois, j’ai juste envie de ne plus penser à toute cette merde et de me servir un verre de vin. Juste un verre de vin tu vois ? Ça semble rien et bien, c’est déjà beaucoup trop. Et toi, un baiser à Elias ça n’est pas grand-chose mais c’est déjà le début de la fin si tu franchis ce pas. Maintenant, faut plus que tu repenses à ça parce que là tu risques de foutre en l’air la vie que tu te reconstruis avec Boris et ce n’est pas envisageable. Tu vois ce que je veux dire ?
- Je n’imaginais pas que c’était si dur pour toi. Je suis vraiment un ami minable de ne pas m’en être aperçu. Excuse-moi. Je fais vraiment que de la merde en ce moment...
- Oh je t’en prie, on ne va pas recommencer. J’ai juste pas envie de vous faire chier avec ça. On a tous des problèmes, vous tous, vous avez votre dose d’emmerdes, je ne vais pas en rajouter une couche. Et tu n’as pas à être mon psy. C’est pas ton job ça.
- Ouais mais quand même. Vous, vous êtes toujours là pour moi. La preuve encore tout de suite et moi je ne pense qu’à ma gueule ces derniers temps. Je me déteste des fois.
- Arrête avec ça. La victimisation c’est terminé. Il reste une semaine avant mon départ alors on ne va pas tout gâcher avec nos vieilles ondes négatives. Ça passe vite une semaine, je ne vais pas te l’apprendre.
- Ça me fait peur... Comment je vais faire quand tu seras parti ? Non mais sincèrement, tu es tellement précieux. Tu t’en rends pas bien compte je crois.
- Si je commençais à m’en rendre compte, ma tête passerait plus les portes ! Tu vas faire sans parce que quand tu veux tu es le meilleur. J’ai confiance en toi Simon. Bon et sinon, trêve de discussions sérieuses, demain on va à Etretat ? Pas envie d’une petite virée entre mecs ? »


Lorsque Pierre est parti, j’avais l’impression de sortir d’une machine à laver sur programme essorage. J’avais tout juste la force de me trainer jusqu’à mon lit. Là au moins j’avais l’impression d’être à l’abri. Même si c’était juste une impression, c’était plutôt réconfortant. Et hormis, fermer les yeux pour ne plus voir cette réalité crasse qui m’avait sali aujourd’hui, j’avais envie d’appeler Boris, d’entendre sa voix et de lui crier tout mon amour. Je m’en voulais d’avoir douté ne serait-ce qu’une minute de notre histoire. Je ne voulais plus avoir à craindre la fin avec lui parce que ce n’était pas comme ça que notre histoire était écrite. Je le voulais à moi, pour moi, avec moi, sur moi, sous moi, à mes côtés et ce, pour toujours. En composant son numéro de téléphone, je ne pensais plus qu’à une seule chose, comment lui faire ma demande. Comment lui demander de ne plus attendre, de ne plus être patient. En fait, tout ça c’était du grand n’importe quoi.
Tout bien réfléchi, la vie était trop brève, trop glauque et trop hasardeuse pour vivre seul quand on avait la chance de pouvoir vivre à Deux.







dimanche 13 décembre 2009

Chapitre 14 -Messages-


Samedi 22 Août


« T’es sûr que t’es vraiment obligé de rentrer aujourd’hui ?
- On en a déjà parlé Boris. Faut bien que je rentre à un moment ou à un autre de toute façon.
- Oui mais je suis bien avec toi.
- Mais moi aussi je suis bien avec toi. Seulement, je dois rentrer. Il y a mon chat. Mes amis. Enfin tu sais tout ça.
- Je sais. Mais reste encore une journée. Juste une.
- Non. Ça serait juste reculer pour mieux sauter. Je veux voir Pierre un peu avant samedi. Je ne sais pas quand je vais le revoir après. Puis j’ai des cours à préparer aussi. Dans dix jours je retourne travailler, faudrait pas que je l’oublie.
- Et on se revoit quand alors ?
- Très vite je te le promets. Allez, je vais y aller, mon train va partir dans deux minutes, j’aimerais bien avoir une place.
- Je t’aime mon chéri.
- Moi aussi je t’aime. Sois sage en mon absence.
- Ça veut dire quoi ça ?
- Ça veut juste dire qu’il faut que tu prennes soin de toi, c’est tout. »
Encore une fois, une dernière fois, je l’ai embrassé. La gare Saint Lazare était tellement bruyante, tellement agitée. Puis je suis monté dans le train et me suis installé à la première place que j’ai trouvée. Un siège à côté d’une jeune fille qui lisait l’Amant. Elle me sourit, je lui rends son sourire. Le train se met lentement en route, je regarde une dernière fois Boris, articule en silence un Je t’aime. Puis je ferme les yeux et repense à tout ce que j’ai vécu. Le Jardin des Plantes, la soirée chez Hedi, la virée shopping avec Sara. Je culpabilise. J’aurais aimé que Norma soit là. J’ai tellement de choses à lui raconter. Le concert improvisé de Thad en plein milieu du Jardin du Luxembourg. Boris et Joseph qui tombent dans la fontaine. Le pique-nique le long du canal Saint-Martin. Jeudi soir où tellement saoul j’étais près à m’endormir rue Montorgueil. Je souris. Norma aussi aurait souri. Je suis nul, j’aurais dû l’appeler, lui dire de venir. Non, il fallait que je passe du temps avec Boris. Elle comprendra. Je décide de lui envoyer un message avec le téléphone offert par Boris. Mon cadeau d’anniversaire en avance.

Dans 1h, je suis à Rouen.
J’ai tellement de choses à te raconter.
Je reviens pour de bon.
Pas de nouvelles virées prévues pour le moment.
Tellement hâte de te voir.
Tu m’as manquée ma BFF.
Bisxxx. Simon.
PS : Au fait c’est mon nouveau numéro, je te raconterai.

Arrivée à Rouen. Le ciel est gris. Il fait terriblement chaud. Le chemin jusqu’à mon immeuble me semble interminable. Mon sac est lourd. Plus lourd qu’en partant. Lourd des rencontres que j’ai faites, des souvenirs indélébiles et des nombreux cadeaux faits par Boris. J’ai hâte de retrouver David Bowie. Je me sens même motivé à l’idée de préparer mes cours. J’ai fait une pause pendant quelques mois et voilà, ça y est, le moment tant attendu où je me remets en marche est venu. Je n’ai même pas à me forcer pour appuyer sur Play. Je suis épaté. Je suis sûr que Norma guette mon arrivée à sa fenêtre. Je vais bientôt l’entendre rire, j’en suis certain. Je lève la tête, ne la vois pas. Ses volets sont fermés. Bizarre. Elle ne devait pas bouger de Rouen. Quelques lettres dans ma boîte aux lettres. Une facture. Une carte de Biarritz écrite par mon cousin Antoine. Et puis, les deux courriers du laboratoire. Les résultats du dépistage. Je sens une petite boule au ventre. Mon portable vibre. Boris.

J’avais plein de trucs à faire. 
J’ai plus envie là.
C’est nul que tu sois parti.
Mon père m’a appelé après ton départ, 
il veut me voir.
Ça me gave déjà.Reviens.
Non je déconne je sais que tu peux pas.
Je t’aime mon Prince.
Sois sage surtout. Lol.

Je lui répondrai une fois arrivé chez moi. J’entends du bruit chez Clara. Elle écoute du Emilie Simon. Pour changer. J’irai lui faire un bisou tout à l’heure. Au 2ème étage, tout est calme. Pierre doit encore dormir. 12h15 ce n’est pas trop son heure. Et Norma ? Où est-elle ? Faut que j’arrête. Elle a le droit d’avoir une vie. Peut-être a-t’elle dormi chez quelqu’un. Elle a peut-être rencontré un garçon. Ça expliquerait pourquoi elle ne m’a pas encore répondu. Je verrai tout à l’heure. Je mènerai mon enquête s’il n’y a rien de neuf d’ici là.
David Bowie vient m’accueillir en se frottant à mes jambes. Il ne miaule pas. Il ronronne. Je suis surpris. Je le regarde. Est-ce que c’est toujours mon chat ? Je constate les dégâts de ses griffes sur mon canapé. Ouf, oui c’est toujours lui. Il faut vraiment que je lui coupe les griffes. Je m’assois et réponds à Boris.
  
Tu me manques un peu aussi mais je suis quand même content d’être rentré.
David Bowie est étrangement gentil.
J’attends des nouvelles de Norma, je pense que je vais la voir aujourd’hui.
Pourquoi ton père veut te voir ? 
 Tu y vas quand ?
Je t’appelle ce soir. Love u.
Au fait, on a reçu le résultat du test.
J’ouvre ou je t’attends ?

J’ouvre les fenêtres. Il fait tellement lourd, je crois qu’il va bientôt pleuvoir. Je donne un peu de pâtée à David Bowie. Ce n’est pas l’heure mais il l’a bien méritée. Je me sers un verre d’eau bien fraîche et entreprends de défaire mon sac. Mon téléphone vibre à nouveau. Norma ? Non, Boris.

Ben non ouvre la !
Je t’appelle dans cinq minutes pour savoir.
Pour mon père je sais pas.
Il doit vouloir me parler de mon avenir pour changer.
Il sait faire que ça...

Je regarde la lettre, celle qui m’est adressé, je la soupèse. Notre avenir dans cette enveloppe. Allez, rien à craindre je l’ouvre. Mon téléphone à nouveau. Il ne s’arrête décidément pas aujourd’hui. Sûrement Norma cette fois-ci. Raté, c’est Hedi.

 Alors bien rentré ?
Franchement faut que tu reviennes vite !
Je suis allé voir le film dont tu m’as parlé.
Trop bien. Et mignon le Xavier Dolan...
Je file travailler. A très vite.
Take care Mr Teacher.
Bisous. Bisous.

Je souris et retourne à la lettre. Mon cœur bat un peu plus fort. Je lis, ne comprends pas tout. Ce que je comprends c’est la dernière ligne. Négatif. Je respire un grand coup. Je prends celle avec le nom de Boris. Je la regarde également. J’imagine le pire. Je suis bête. Je l’ouvre et regarde directement en bas. Négatif.
C’est bizarre comme ce genre de lettres peut faire peur même si l’on sait très bien qu’on n’a rien à se reprocher. Mon téléphone fixe sonne. J’avais oublié que j’avais également un fixe. D’ailleurs le répondeur clignote. Sûrement ma mère. J’aurais le temps de m’en inquiéter plus tard. Chaque chose en son temps alors je laisse sonner.
« Ça y est tu l’as ouverte ?
- Oui, c’est bon. Nous sommes négatifs tous les deux.
- Cool ! Je n’en doutais pas trop mais quand même, ça fait du bien d’en être sûr à 100%.
- C’est exactement ce que je me disais.
- Alors comme ça tu es heureux d’être rentré et de me laisser tout seul comme un sombre crétin ?
- C’est pas ça mais ça fait du bien d’être chez soi et pas chez quelqu’un d’autre où des fois tu sais pas trop où te foutre.
- Ah ouais ? Genre tu ne sais pas où te mettre chez moi ? T’as l’impression de déranger ?
- Parfois oui mais cherche pas, c’est du moi tout craché.
- Mouais... Tu vas voir Norma alors ?
- J’espère. Mais pour le moment c’est silence radio. Ses volets sont même fermés. Je vais aller demander à Clara, je pense. Et toi toujours pas de nouvelles de Virgil ?
- Aucune. Il nous fait encore son coup de calgon semestriel. Il est peut-être même parti dans sa maison sur l’île de Ré. Alors je ne m’inquiète pas trop. Bon, on se revoit quand alors ? T’as réfléchi ?
- Bientôt, je te le promets. Faut juste que je me recentre un peu là. Je pensais faire une fête pour mon anniversaire. Après tout, c’est dans trois semaines maintenant. Je pourrais inviter Hedi, Sara et tous les autres. Tu en penses quoi ?
- Je pense que ça serait une très bonne idée ! Ah, attends, j’ai un double appel, je te laisse mon chéri. 
- D’accord my love. A plus. »

Je ressentais un vide mine de rien. Mais ça, je me gardais bien de le dire. Pas envie de passer pour le romantique niaiseux de service. Celui qui fait de grandes leçons de morale du style « on ne va pas emménager ensemble, nous sommes deux êtres séparés et patati et patata ». Et qui après une semaine torride et idyllique revient sur tous ses préceptes et veut juste passer une éternité dans les bras de son chéri. J’étais vraiment stupide des fois. Et puis j’avais beaucoup trop de choses à faire en cet instant pour rêvasser à une vie paradisiaque [deux termes incompatibles soit dit en passant] avec l’homme que j’aimais. Mon frigo était vide. Même plus une goutte de chardonnay ! Mes bagages n’étaient pas défaits. Mon corps réclamait au plus vite une bonne douche et un masque. Et par-dessus tout, mon répondeur était au bord de l’implosion. 24 nouveaux messages dont 17 juste de ma mère et 5 d’Elias qui, pourtant, n’appelait jamais sur mon fixe. Fallait-il que je me débarrasse aussi de ce téléphone, de ma ligne et que je parte vivre en Papouasie-Nouvelle Guinée pour trouver enfin une certaine tranquillité ?

Simon c’est encore moi. Je commence vraiment à me faire du souci. Norma me dit qu’il n’y a pas de quoi mais quand même. Tu exagères vraiment ! Et en plus tu as oublié l’anniversaire de ta grand-mère la semaine dernière. Ne t’étonne pas si elle ne t’envoie rien pour le tien. Je sais que je sature ton répondeur mais j’attends de toi que tu me rappelles dès ton retour ! Et au cas où tu ne m’aurais pas reconnue, tu es tellement bizarre en ce moment, c’est la femme qui te tient lieu de mère. Je t’embrasse.

Ma mère dans toute sa splendeur. Des fois, j’avais besoin de laisser passer quelques jours histoire d’avoir vraiment des choses à lui raconter. Elle ne le comprenait pas. Elle avait trop besoin de parler à son fiston adoré tous les jours. Sinon, elle envisageait tout de suite le pire. Bon, elle avait des circonstances atténuantes d’un autre côté. Je n’allais pas la blâmer mais j’allais quand même la laisser mariner jusqu’à ce soir. C’était mon petit côté gosse sadique. C’était surtout que je n’avais toujours pas de nouvelles de Norma et que je n’aimais pas ce silence. Je me décidai donc à sortir faire des courses rue Armand Carrel et en descendant j’allais demander à Clara si elle était au courant de quelque chose.

« Hey ! Simon ! Ça va toi ?
- Ben oui ça va bien. Je suis rentré il y a 1 heure. Et toi ça va ?
- Tranquille. Tu veux entrer cinq minutes ? J’allais me faire un smoothie.
- Carrément ! Alors quoi de neuf ?
- Ben pas grand-chose. Je pense qu’en fait je vais me réinscrire à la fac à la rentrée prochaine. Faut que j’arrive à la terminer cette licence !
- C’est cool ça.
- T’es sûr que ça va ? T’as l’air ailleurs. Ah, attends, je sais ! Toi tu te demandes pourquoi Norma n’est pas là. Pas vrai ?
- En plein dans le mille. Ça se voit tant que ça ?
- Ben je commence à la connaître cette tête de victime. Les petits yeux tristes et le sourire forcé. Il n’y a pas que Norma qui te connaît bien tu sais. Et donc, elle va bien. Elle a même dormi ici cette nuit. Et là, elle est partie quelques jours.
- Partie ? Où ça ?
- Voir son frère. Et profiter de sa piscine !
- Ah, ok. Elle pourrait au moins répondre à mes messages cette garce !
- Euh, là, je pense que tu peux t’écraser parce que niveau nouvelles t’es pas vraiment au point ces derniers temps. On a essayé de te joindre je ne sais pas combien de fois !
- Oui j’ai jeté mon portable. C’est une longue histoire...
- Jeté ? C’est le dernier jeu à la mode des pauvres petits parisiens qui ne savent pas quoi faire de leur vie ?
- Non. Juste histoire de commencer une nouvelle vie. Loin d’Elias.
- Et loin de nous aussi ? Parce que c’est un peu le sentiment qu’on a eu avec Norma. Et elle a vraiment les nerfs pour tout te dire.
- Mais non pas du tout ! Faut pas tout mélanger. Ce n’est pas parce que je vais à Paris une semaine que ça y est je ne pense plus à vous ! C’est juste qu’avec Boris on a besoin de se créer des souvenirs en commun. Tu vois ?
- Ouais. Moi, t’as de la chance, je ne suis pas du genre rancunière tu le sais, alors je t’excuse. Mais je te souhaite bon courage pour expliquer ça à Norma. T’as intérêt à avoir des arguments en béton armé.
- Faudra bien qu’elle comprenne. Et elle revient quand en fait ? Elle ne sera pas là pour la soirée de Pierre ?
- Oui, oui elle sera revenue ne t’en fais pas. Pêches-framboises ça te va pour ton smoothie ? »

Tout compte fait, les courses à la superette italienne attendraient, j’avais perdu toute motivation lorsque j’avais compris que j’avais blessé Norma. C’était toujours comme ça. Toujours le même schéma. Une partie de ma vie s’arrangeait et une autre s’effritait. Est-ce que tous ils comprenaient que je n’avais pas quatre bras ? Je n’arrivais pas à tout gérer en même temps. Ma mère n’était pas Shiva après tout ! D’ailleurs, j’allais reporter ma petite entrevue téléphonique avec elle car je ne me sentais pas d’attaque pour les reproches.

Coucou Maman. C’est celui qui te sert de fils.
A moins que tu m’aies déjà rayé de ton testament.
Je vais bien. Pas la peine de t’inquiéter.
Je t’appelle demain, la journée a été un peu mouvementée besoin de calme ce soir.
Je t’embrasse très fort. A demain.
(c’est mon nouveau numéro)

Voilà, au moins une bonne chose de faite. Je pouvais à présent me coucher sur mon canapé et comater en regardant des nullités à la télé. 15h. C’était à peu de choses près le début du deuxième feuilleton allemand larmoyant sur une chaîne de la TNT. Et c’était exactement ce dont j’avais besoin. En plus c’était du lourd ! Une femme apprend qu’elle souffre d’un cancer la veille de son mariage et décide de ne rien dire à sa famille pour ne pas gâcher la fête. Le Secret de la Mariée, ça s’appelait. Mon téléphone posé juste à côté de ma tête, j’attendais des nouvelles de Norma et je sanglotais. Pas forcément parce que c’était triste mais parce que je n’aimais pas me sentir loin de Norma. Elle était tellement importante pour moi. Comment le lui faire comprendre ?  A 19h30, je commençai à avoir un peu faim. Le fond de Chocapic dans mon placard ferait l’affaire. Puis, j’envoyai un message à Boris pour lui dire de ne pas m’appeler ce soir.

Je vais éteindre mon portable ce soir mon chéri.
La journée a été moins bonne que prévue. Je te raconterai.
(Rien de grave mais des trucs chiants)
Je pense à toi et aimerais que tu sois là en fait mais fais comme si je n’avais rien dit.
Je t’aime plus qu’il ne le faudrait.

Puis n’ayant plus rien d’intéressant à faire, je me résignai à dormir. Là, sur mon canapé, David Bowie ronronnant contre moi. Malgré la température extérieure, sa chaleur me réconfortait. Mais juste avant, je décidai d’envoyer un dernier message. A Norma. Pour lui présenter mes excuses et peut-être que là, elle voudrait bien me répondre. Longtemps, je cherchai les bons mots à lui écrire. Plusieurs fois, j’effaçai pour mieux réécrire la même chose. Finalement, c’est un message plutôt neutre qui fut transmis à 20h04.

J’ai vu Clara et elle m’a expliqué.
Je m’excuse d’avoir cru que notre amitié était acquise et que je n’avais plus d’effort à faire pour l’entretenir. Je m’en veux et comprends ton silence.
On en parlera quand tu rentreras.
Amuse-toi bien chez ton frère.
Je t’embrasse.

A 20h15, l’orage qui avait menacé toute la journée éclata enfin et me berça jusqu’à m’endormir profondément.