samedi 14 août 2010

Chapitre 30 - Brève rencontre avec Mr Vador -


Vendredi 15 Janvier




Il y a des matins où je me lève avec l’impression que je vais accomplir de grandes choses. Où je suis rempli d’une envie d’en découdre avec la vie, où je suis persuadé que moi et mes petits poings rageurs on va y arriver, on va lui foutre une raclée à cette foutue fatalité qui voudrait que tout soit déjà écrit, plié, rangé, classé. J’aime croire ces matins-là que j’ai mon mot à dire dans le grand ordre des choses et que non, tout ne va pas se passer comme prévu. Ce sentiment éclot souvent dans les premières minutes qui suivent mon réveil. Il me faut être bien attentif. Par exemple, si ce jour de juillet, je n’avais pas tendu l’oreille, si je n’avais pas entendu cette petite musique intérieure [je ne suis quand même pas Ally McBeal, je vous rassure] qui me disait ‘aujourd’hui, tu vas te bouger, tu vas vivre ta vie sans te soucier de ce que pensent les autres, tu vas te faire violence mon Simon’, si je n’avais pas entendu toutes ces petites phrases, je serais passé à côté de Boris. Bon, évidemment, je l’aurais peut-être rencontré un jour ou l’autre, après tout Norma et Eléanore étaient amies, mais peut-être que tout aurait été différent. Ce matin-là, à l’opposé d’un matin tiède de juillet, j’ai entendu cette petite musique. J’ai ouvert les yeux, ai remonté la couette à hauteur de mon menton, me suis étiré et l’ai regardé. Boris Dentzig. Le garçon le plus beau du monde lorsqu’il dormait [et pas que lorsqu’il faisait ça d’ailleurs...]. Chaque fois que je le regardais dormir, j’étais surpris de découvrir quelque chose de nouveau. Un grain de beauté. Une ride d’expression. J’étais agacé aussi. Pourquoi donc ses cheveux étaient-ils toujours aussi impeccablement disposés ? Et chaque fois qu’il ouvrait les yeux, j’étais comme ébloui en redécouvrant la couleur qu’avaient ses yeux.

« Encore en train de me regarder dormir ?
- Non, non, pas du tout. Tu as juste ouvert les yeux au moment où je regardais dans ta direction. C’est ce qu’on appelle du pur hasard.
- Mouais... et ça fait longtemps que tu es réveillé ?
- Un peu oui. J’arrivais plus à dormir. Ces derniers jours, j’ai l’impression de perdre mon temps quand je suis couché.
- J’ai constaté en effet. Tu t’es couché tard hier soir ?
- Deux heures après toi environ. Je n’ai pas fait trop de bruit ? Il fallait vraiment que je trie tout ce bordel qui hantait mon bureau, c’était vital.
- Tu n’étais peut-être pas obligé de le faire à 1h du mat’.
- Il n’y a pas d’heure pour les braves ! C’est toujours ce qu’on m’a dit. Et puis entre faire ça ou regarder une re-re-rediffusion de Columbo, je n’ai pas hésité bien longtemps.
- Et bien puisqu’il n’y a pas d’heure pour les braves, je vais me rendormir un peu si tu le permets. Laisse-nous encore une petite heure. David Bowie et moi on est encore dans le gaz.
- Comme tu veux, moi je vais aller marcher un peu je crois.
- Ok mon chéri. Non attends, tu vas aller marcher à même pas 8h du matin ?
- Oui, j’ai besoin de me dégourdir les jambes et de m’aérer la tête.
- Tu vas dire que je radote mais il n’est même pas 8h !
- Encore une fois, pas d’heure pour les braves mon chéri. Allez rendors-toi et ne t’en fais pas pour moi. Je ne vais pas me perdre en route. »

Bon, je dois admettre qu’en mettant le nez dehors, il n’était pas évident que ça soit un temps à marcher... D’un autre côté, y-a-t-il vraiment un temps pour ça ? J’en connais certains [que, bien sûr, je ne nommerai pas] qui ne marcheraient jamais dans de telles conditions. Pour une fois, le temps était sec mais le thermomètre était toujours bien en-dessous de zéro et j’avais l’impression qu’il allait encore le rester toute la journée. Pas un chat dehors. Je commençais à en avoir l’habitude. Ces derniers temps j’avais le sentiment de vivre dans une ville ravagée par une catastrophe biochimique à la 28 jours plus tard... Quelle idée j’avais eu d’aller vouloir marcher à 8h du matin ?.... Des fois, mes idées me laissaient perplexe. Maintenant que j’étais dans la rue autant y aller et puis, marcher à cette heure-ci avait au moins un avantage, je ne risquais pas de dépenser de l’argent en faisant du shopping. Désormais, j’irais donc toujours me promener très tôt le matin comme ça aucune tentation. Par contre, ma vie sociale allait dangereusement se rapprocher de celle du Père Fouras. Quoique, si ça se trouve, il a plein d’amis et de trucs à faire le Père Fouras... Je suis vraiment une langue de vipère parfois.

Et puisque j’abordais le délicat sujet vie sociale, j’allais illico envoyer un message à Norma. Je ne l’avais pas vue depuis l’épreuve de l’enterrement et si elle était partante [et réveillée] pour prendre un café avec moi, ça serait plus que formidable. Il était temps pour moi d’appliquer à la lettre le dicton l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. Les événements récents m’avaient appris à considérer chaque minute qui défilait avec un peu plus de sérieux.

Darling !
Es-tu réveillée ?
Moi oui et je me dirige d’un bon pas vers la Place du Vieux.
Donc si ça te tente on se prend une bière.
Bon ok, un café...
Miss u beaucoup trop.

En envoyant ce message, je ne me faisais que peu d’illusions. Je savais que Norma, comme toute personne normalement constituée, n’était pas souvent opérationnelle à 8h du matin ou alors elle l’était mais déjà dans le train-train direction Paris et le monde magique, aquatique et fantastique des maillots de bain. Alors que j’allumais mon mp3 pour écouter Florence and the machine, mon téléphone se mit à vibrer. C’était déjà la réponse de ma petite Norma [point de moquerie dans le mot petite ici, juste une marque d’intense affection...]. Elle me donnait rendez-vous dans vingt minutes devant le marchand de journaux de la Place du Vieux-Marché. Et comme elle allait sûrement être en retard, j’aurais au moins dix bonnes minutes devant moi pour feuilleter des magazines de potins aussi croustillants qu’insipides.

« Désolée mon Simon, tu ne m’attends pas depuis trop longtemps j’espère.
- Hey, salut toi ! Tu sais, à partir d’un certain temps je ne compte plus. Non mais t’inquiète, j’ai lu Public et Voici en profondeur en t’attendant. Ça va ? C’est cool que tu aies pu venir. Tu ne bosses pas aujourd’hui ?
- Oui, cet aprèm. Ce qui tombe bien puisque dans une heure j’ai un entretien d’embauche.
- Non ? Ici, à Rouen ?
- Oui ! Chez Lush ! Tu te rends compte Simon ? Je vais peut-être bosser chez Lush, moi la fille qui pourrait passer sa journée à barboter dans un bon bain moussant.
- Mais ça serait tellement bien ! C’est un 35h ? T’as trouvé ça comment ?
- C’est un 30h mais bon si j’ai ce job, je vais vachement économiser en transport.
- Tu m’étonnes. J’espère vraiment que ça va marcher.
- C’est grâce à Justin. Il connaît la meilleure amie du frère de la patronne.
- Ah ce Justin, s’il n’existait pas il faudrait l’inventer. Tu ne stresses pas trop ?
- Un peu. C’est pour ça que c’est cool que tu m’aies envoyée ce message parce que Justin justement lui, il n’en pouvait plus. Je l’ai réveillé à 6h30 pour lui demander ce qu’il pensait de ma tenue et il n’a pas franchement apprécié.
- A 6h30 ? C’est tôt quand même pour un détail vestimentaire.
- C’était pas pour un détail vestimentaire là c’était pour ma tenue ! Et puis tu m’as toujours dit qu’il n’y a pas d’heure pour les braves. J’applique toujours tes préceptes à la lettre tu sais. Je suis bête et disciplinée. D’ailleurs, je suis comment    là ? Sois franc.
- Parfaite ! Comme à ton habitude. C’est lassant à la longue tant de perfection. Bon on va au JM’s ?
- Ben ouais. C’est pas comme si on avait l’embarras du choix d’un autre côté. Et sinon, comment ça va depuis lundi ?
- Ça va. Enfin ça va mieux. Les deux premiers jours ont été un peu durs mais là je commence à me sentir mieux.
- Contente de te l’entendre dire. On se faisait du souci pour toi, tu sais.
- J’ai cru comprendre oui. Je me dis que par respect pour Elias, je me dois de vivre. Et de vivre chaque jour à fond. Je ne dis pas que je vais faire du saut à l’élastique, nager avec des piranhas ou manger polonais tous les jours mais maintenant, il est temps pour moi d’arrêter de m’écouter et de vivre un petit peu plus.
- Wow. Alors là, je suis épatée.
- Bonjour, qu’est ce que je vous sers ?
- Je vais prendre un grand café et un verre d’eau.
- Et moi un déca s’il vous plait. Je suis déjà assez excitée comme ça.
- Ok un grand café, un déca.
- Sacré discours, je suis fière de toi. Mais par contre, il y a un truc qui me chiffonne...
- Quoi donc ?
- On ne se voit pas du tout en ce moment ou alors pour des trucs pas marrants et ça commence à me saouler...
- C’est clair, je me faisais la même réflexion en t’envoyant le texto tout à l’heure. On est trop en train de s’enfermer dans nos petites vies de couple respectives.
- Ça craint. Il faut qu’on trouve une solution. Parce que le jour où je vais quitter mon appart, je ne vais pas supporter de te voir une fois par semaine pour un café. C’est carrément hors de question !
- Et voilà, un grand café, un déca.
- Merci.
- Tu crois que tu vas bientôt quitter la rue eau-de-robec ?
- J’en ai pas envie tout de suite maintenant mais bon, si ça continue comme ça avec Justin, et j’y compte bien, ça va arriver à un moment ou à un autre. Pour le moment, je ne peux pas vous laisser tous seuls avec l’autre psychopathe de Barthélémie. Ça serait inhumain de ma part.
- Merci, j’apprécie. Tu te rends compte quand même du chemin qu’on a parcouru toi et moi depuis l’été dernier ? C’est un truc de fou tu ne trouves pas ?
- Ouais... Mais j’évite de trop y penser parce que sinon ça me fait flipper.
- Il ne faut pas ! C’est génial moi je trouve ! Pourquoi faudrait-il toujours flipper ?
- Effectivement, t’es un nouvel homme ! Aussi enthousiaste et positif si tôt, c’est une facette de toi que je ne connaissais pas.
- T’as vu ? Tel le phénix, je renais de mes cendres. Non mais trêve de plaisanterie, toi et moi on ne s’en sort pas si mal là. T’as vu nos copains ? On s’est dégoté des canons ! Bon, pas le même style mais quand même, des canons. Oui, je sais, cette remarque est purement superficielle mais j’aime me le répéter des fois.
- Moi j’ai l'athlète et toi l’anorexique.
- On est vernis quand même.
- Bon on a encore des petits progrès à faire pour que nos vies soient vraiment parfaites mais on est sur la bonne voie. Et moi quand j’aurai décroché ce job, je ne serai plus très loin du rêve hollywoodien. The Hollywood Dream comme on dit aux States !
- Toujours mesurée ma petite Norma. J’espère quand même que tu as un peu plus d’ambition.
- Mais oui, t’inquiète. Je n’ai pas dit mon dernier mot. Le jour où je serai ce que je dois vraiment être, ça va saigner ! Et donc ? On fait quoi alors pour remédier à cette vilaine situation qui s’installe ? Vous faites quoi ce week-end ?
- On part pour Paris tout à l’heure. Sorry Darling.
- Ah oui, c’est vrai. Tu embrasseras bien fort Hedi et sexy Thad pour moi d’ailleurs.
- Je vais tâcher d’y penser. Je rajouterai le ‘sexy’ devant  Thad?
- Oui, oui, tu peux. Il le sait de toute façon. Thad, Thad, Thad, je pourrais scander son prénom toute la journée. C’est tellement sex.
- Norma, tu es une femme mariée dois-je te le rappeler ?
- Ouh la ! Arrête ! Je vais me barrer en courant avec ce genre de paroles.
- Moi j’aimerais bien épouser Boris mais chut, ne lui dis pas !
- T’es trop niais Simon. Eléanore a raison quand elle dit que tous les deux, vous sentez la guimauve à plein nez. »
Il y avait toujours un moment dans chacune de nos conversations où Norma me disait que j’étais niais. Ce que ça pouvait être lassant à la longue...
...
J’ai rêvé que je dormais avec James Franco cette nuit et qu’il me léchait le visage. => T’es niais Simon.
Et si on regardait l’Amour est dans le Pré ce soir ? => Oh la la t’es vraiment niais.
David Bowie me parle je vous dis. Mais vous, vous ne pouvez pas le comprendre. => Ce que tu peux être niais des fois !
...
Toujours la même histoire... Puis nous avons parlé des derniers ragots. Clara et tous ses slumdog millionaires [tu crois qu’elle a déjà croisé Rubina ?], de Pierre et son australienne [il parait qu’elle a un faux air de Michelle Rodriguez ! Est-ce vraiment une bonne nouvelle ?...] et de toutes ces petites futilités qui prennent tout leur sens lorsqu’on en parle avec des ami(e)s.

« Putain ça y est, ça va être l’heure !
- Allez, ça va le faire ! Il faut y croire !
- Evidemment que ça va le faire ! Je te tiens au courant et on essaye de se trouver un moment pour se voir vraiment la semaine prochaine. Ok ?
- Oui. Pas de problème ! Ça m’a vraiment fait du bien de te voir en tout cas.
- Oui, à moi aussi. Love you. Prends soin de toi et embrasse Boris.
- T’inquiète. Et j’embrasserai Thad aussi ! Je n’oublierai pas.
- Ah oui, surtout Thad ! D’ailleurs, oublie d’embrasser Boris. »

Après un petit détour par la meilleure boulangerie de Rouen histoire d’acheter quelques croissants bien dorés, j’étais de retour à l’appartement. Boris était levé, lavé, tiré à quatre épingles, prêt à décoller.
« Déjà dans les starting-blocks mon amour ?
- Oui, on a un train d’ici une heure.
- On n’avait pas dit qu’on prendrait un train vers midi ?
- Oui mais il y a un petit changement de programme...
- Ah bon, quoi ? Rien de grave ?
- Mon père m’a appelé. Cette garce d’Eléanore lui a dit que je venais ce week-end donc il veut me voir. J’ai rendez-vous avec lui en début d’après-midi.
- Rendez-vous ? Carrément ! C’est pas un marrant ton père.
- T’as même pas idée. Je me demande ce qu’il va bien pouvoir me sortir cette fois. Franchement, je la retiens la Eléanore.
- Elle ne l’a certainement pas fait méchamment. Je vais venir avec toi si tu veux.
- Ben oui, évidemment que tu vas prendre le train avec moi.
- Non, tu n’as pas compris, je vais t’accompagner chez ton père. C’est chez tes parents qu’on va ou à son bureau ?
- Non, non, tu ne vas pas venir avec moi. Je ne veux pas t’infliger ça. Surtout pas ça.
- Et si c’est moi qui veux m’infliger ça ? Je suis un brin maso sur les bords. Il n’y a pas à discuter. Autant qu’il fasse ma connaissance. Ça viendra bien à un moment ou à un autre de toute façon.
- Le plus tard serait le mieux, crois-moi. Tu ne sais pas à quoi tu t’exposes Simon.
- C’est qui ton père ? Dark Vador ou quoi ?
- Pire que ça...
- Tant pis ! Je me sens l’âme d’un casse-cou aujourd’hui. Profitons-en.
- Ok... Et c’est chez lui, enfin chez moi qu’on va. Il est cloué au lit par une sciatique. Ce qui, soit dit en passant, ne va pas du tout arranger son état.
- Arrête de polémiquer, c’est décidé, je viens avec toi et je n’oublierai pas mon sabre laser. Un petit croissant pour prendre des forces, jeune padawan ? »

Encore une fois, cette idée que je venais d’avoir me laissa extrêmement perplexe. Pourquoi diable avais-je dû lui proposer de venir voir son père alors que j’aurais très bien pu aller boire un chocolat chaud dans je ne sais quel salon de thé cosy en compagnie de Thad et d’Hedi ? Et non, au lieu de ça, j’avais proposé à Luke Skywalker d’aller affronter son père qui, pour une fois, n’était pas asthmatique mais sujet à la sciatique. Superbe après-midi en perspective. A ce moment précis, j’eus du mal à ressentir une quelconque compassion à l’égard de Boris, trop occupé que j’étais à cracher sur ma générosité et mon altruisme légendaires. Note pour plus tard : se mettre dans le crâne qu’à partir de maintenant, Bon ne s’écrira plus avec un C.

Train Corail Intercités numéro 3106 à destination de Paris Saint-Lazare. Comme souvent sur cette liaison, il y a des retards incompréhensibles. Le train roule au ralenti en traversant pas mal de coins paumés où seules les célèbres vaches normandes ont l’air de s’éclater. Boris ne parle pas beaucoup. Il stresse alors je décide de le laisser tranquille. A peine deux ou trois ça va ? durant le trajet. Il me répond du bout des lèvres, se force à me sourire. Je le réconforte en lui caressant la main. Il lit du Zola, La Curée. Il est courageux. Il y a bien longtemps que j’ai renoncé à Emile et à ses longues pages de description. Moi, je feuillette le dernier Inrockuptibles. Les nouveaux Gainsbourg et Birkin font la couverture. Norma a eu le job chez Lush, elle commence lundi. Nous nous voyons lundi soir pour fêter ça. Finis pour elle les trajets interminables et pénibles, les bikinis, les trikinis, les strings, les paréos. Nous arrivons finalement à 12h35. J’attrape la main de Boris et me sens fin prêt à affronter la foule parisienne. Nous devons aller jusqu’à Saint-Cloud où vivent les parents de Boris. Je serre sa main un peu plus fort lorsque nous montons à bord du Transilien. Les gens nous regardent, murmurent sur notre passage et ça, franchement je m’en fous. Les gens sont jaloux que voulez-vous...

La maison des Dentzig est une immense bâtisse blanche entourée d’un immense jardin.  L’entrée est marquée par une sorte de monstre métallique qui pourrait très bien être le portail d’un château. Ah oui, et il y a des caméras de sécurité tout autour de la maison [si je peux vraiment appeler ça une maison...]. Ça fait tout bizarre la première fois.

« T’es sûr que ça va aller ? T’es tout pâle. Tu peux encore faire marche arrière tu sais. Encore une fois, ce n’est pas une preuve d’amour ce que tu t’apprêtes à faire là. Tu n’es vraiment pas obligé de le faire.
- Non, non, je viens. Je suis juste un peu étonné. Et puis je ne peux plus faire marche arrière avec toutes les caméras qu’il y a ici, ton père doit déjà savoir que je t’accompagne. En fait, tu m’as menti, c’est pas Dark Vador ton père mais c’est le méchant d’Inspecteur Gadget c’est ça ? Non mais, sérieusement, pourquoi il y a autant de caméras ?
- Mes parents sont un peu paranos et puis il y a des trucs de valeur ici. Tu vas vite plus y faire gaffe, ne t’en fais pas. »

Des fois [99% du temps], j’oublie que Boris est fils de grand patron et petit-fils d’ancien ministre...

« Bonjour Mr Boris. Ça fait si longtemps.
- Bonjour Sophie, tu vas bien ?
- Oui ça va bien et vous ?
- Pas trop mal. Je te présente Simon, mon fiancé.
- Enchanté. Mais ne restez pas dans l’entrée, avec tous ces courants d’air. Votre père vous attend dans la chambre grise.
- D’accord. Merci Sophie. Tu viens Simon ? Tu veux que je te fasse visiter avant ?
- Oui pourquoi pas... C’est gigantesque ici.
- Ne m’en parle pas. Oh et puis viens, allons voir Dark avant toutes choses. Ça sera fait comme ça.
- Comme tu veux mon chéri. Allez, respire un grand coup. Je t’aime, ne l’oublie jamais.
- Comment pourrais-je l’oublier ?
- Alors comme ça, je suis ton fiancé ?
- Ben oui, l’idée te déplait ?
- Non, non, pas du tout. Au contraire.
- Ah te voilà.
- Oui me voilà. Bonjour Papa.
- Bonjour Boris. Tu aurais pu me dire que tu venais avec un ami.
- Avec mon ami. Papa, je te présente Simon.
- Oui peu importe. On ne va pas jouer sur les mots. Bonjour jeune homme.
- Bonjour Monsieur Dentzig. Enchanté de faire votre connaissance.
- Je ne peux pas me lever, nous allons donc devoir rester là. Boris, ouvre les rideaux, veux-tu.
- Oui, bien sûr. Tu veux que je demande à Sophie de t’amener quelque chose tant qu’on y est?
- Que veux-tu qu’elle m’amène ?
- Un médicament. Un café. Je ne sais pas moi.
- Tu imagines bien que j’ai déjà tout ce dont je peux avoir besoin. Je ne t’attends pas pour demander tout ça... Je pourrais attendre longtemps sinon. Tu comptais venir nous voir un jour ?
- Evidemment. J’ai juste été très occupé.
- Si ta sœur ne nous avait pas dit que tu étais à Paris ce week-end, tu ne serais jamais venu ici. Sois franc au moins une fois dans ta vie Boris.
- Sympathique... Tu commences très fort Papa.
- Et tu t’attendais à quoi ? Que je te saute au cou ?
- Je ne sais pas... Pas à ça, c’est certain. Maman n’est pas là ?
- Elle avait des choses à faire, des gens à voir. Elle est excessivement déçue par ton attitude. Ça l’attriste énormément.
- Et moi, est ce que j’ai le droit d’être attristé par la vôtre d’attitude ? Ou je dois m’écraser et jouer au garçon docile ?
- Je vais sortir et vous laisser. Je serai à côté Boris.
- Oui, en effet, ça sera mieux comme ça ! Explique-moi pourquoi tu l’as amené ici ?
- Un peu de respect ça serait trop te demander ? C’est mon copain, je t’interdis... »

Et là, j’ai fermé la porte, traversé le salon décoré d’une manière assez minimaliste malgré les toiles de maître accrochées aux murs, j’ai ouvert une des portes-fenêtres donnant sur le jardin et me suis assis sur un banc. Il faisait un froid de canard mais sincèrement, ça m’était égal, au moins, je n’étais plus là-bas. C’était dans des moments comme ça que je bénissais le ciel de ne pas avoir de père.

« Est-ce que vous avez soif, jeune homme ?
- Oh, je ne sais pas... Je ne voudrais pas abuser...
- Je suis là pour ça vous savez. Aimez-vous le thé ?
- Oui, je dois bien avouer qu’un thé chaud serait le bienvenu.
- Earl Grey ? Thé à la menthe ? Thé russe ? Thé vert ?
- Ne vous embêtez pas, un Earl Grey sera parfait.
- Il fait vraiment froid ces derniers jours, n’allez pas attraper la mort en restant assis ici.
- Rassurez-vous madame, je suis vacciné. »

Au bout d’une heure et malgré le thé bien chaud que Sophie m’avait servi, j’étais congelé mais toujours incapable de rentrer dans cette maison où je ne me sentais pas du tout le bienvenu. Et je n’avais qu’une seule crainte, que la mère de Boris ne rentre et me trouve ici, dans son jardin. Je me sentais comme un voleur dans une propriété privée. Ce qui m’étonnait, c’est qu’on n’avait toujours pas lâché les chiens sur moi. Il y avait toujours des chiens dans ce genre d’endroit d’habitude. La porte de la chambre grise s’ouvrit enfin. Boris en sortit, le visage tendu. Finalement, même dans les cas extrêmes, on allait bien ensemble. Lui et son visage rouge de rage et moi et mes mains bleuies par le froid, nous étions tellement bien assortis.

«  Tu ne m’en veux pas si je ne te fais pas visiter la maison ? Je ne veux pas rester une minute de plus ici.
- Ça s’est si mal passé que ça ?
- C’est rien de le dire... Je lui ai dit d’aller se faire foutre... Je suis taré.
- Ah ouais, carrément ?
- Ouais, carrément... Il fallait que ça sorte mais je ne me sens pas mieux pour autant. C’est même pire en fait.
- Au moins tu lui as dit ce que tu avais sur le cœur. C’est peut-être pas plus mal.
- Si on veut... C’est surtout lui qui m’a balancé des trucs affreux à la gueule. Il a bien vidé son sac.
- Du genre ?
- Du genre tout et n’importe quoi. Tout y est passé. Mes études, ma sexualité, l’argent, mes amis.
- Ben vas-y, raconte un peu plus en détail. Sauf si tu n’en as pas envie.
- Il a dit que je lui faisais honte, que je ne ferai jamais rien de ma vie. Qu’il ne comprend même pas que je sois avec quelqu’un comme toi.
- Quoi ? Mais il ne me connaît même pas ! Comment il peut dire un truc aussi bête ?
- Je le lui ai dit. C’est le style de mon père, il juge sans rien savoir. Je le hais, tu n’imagines même pas à quel point. Et ma mère qui n’ose même pas se montrer. Je suis sûr qu’elle était là-bas, planquée dans une des chambres.
- Tu crois ?
- Plus rien ne m’étonnerait... Et tu sais ce qu’il m’a annoncé aussi ? Il a filé mon appartement au fils d’une vieille amie. Il va y vivre dès le mois de février ! Tu te rends compte ? C’était mon appartement ! Il me l’avait donné. Et là, il me le reprend sans me demander mon avis.
- C’est dégueulasse. Je ne comprends pas ce qu’ils te font payer là...
- Je n’en sais rien. Je crois que c’est la dernière fois que je fous les pieds dans cette maison. J’espère qu’une seule chose, c’est que ce n’est pas juste parce que je leur fais l’affront d’être pédé.
- Ne dis pas ça. Ça ne peut pas être pour ça. Ou que pour ça. En attendant, je comprends carrément que tu aies pu t’énerver.
- Et c’est pas ça le pire.
- Ah, parce qu’il y a pire ?
- Ce qui m’a vraiment mis hors de moi c’est qu’il a vu que tu portais l’anneau de ma grand-mère et il n’a pas du tout apprécié.
- Franchement, je ne sais pas ce qu’il me reproche. D’habitude, j’ai un bon feeling avec les parents. Ils m’aiment bien. Surtout que là, on a simplement échangé deux mots.
- T’as rencontré tant de parents que ça ? Tu m’as caché des choses.
- Tu oublies que je suis un peu plus vieux que toi. Donc oui j’ai rencontré certains parents de mes ex.
- Les parents d’Elias t’aimaient bien eux ?
- Oui. Ils me considéraient un peu comme leur fils. Mais bon, on ne fait pas sa vie avec ses beaux-parents. Alors ça m’attriste que ton père réagisse comme ça mais ça ne va pas m’empêcher de vivre. C’est ça ma grande résolution. Je vais vivre maintenant. Et tu vas en faire de même mon chéri ! On va arrêter de se pourrir la vie maintenant toi et moi et on va un peu plus penser à notre gueule !
- Je n’attendais pas grand-chose de mes parents mais là c’est du mépris que j’ai vu dans les yeux de mon père aujourd’hui. Ça m’a fait mal. Je ne comprends pas.
- Tu pourrais en parler avec Eléanore. Peut-être qu’elle en saurait un peu plus.
- J’ai pas très envie d’en parler. Surtout avec elle. Une chose est sûre maintenant, tu peux me présenter ta mère, ça ne pourra pas plus mal se passer. Voilà au moins un point positif.
- Oh mais ça va bien se passer avec ma mère. Elle n’est pas méchante, elle est juste chiante !
Et un brin envahissante. Des fois, elle appelait Elias et ne lui parlait qu’à lui. Elle ne demandait même pas à me parler ! Bref, c’est ma mère...
- J’aimerais bien la rencontrer.
- Oh, ce moment arrivera bien assez tôt. Je ne suis pas très pressé... Bon, on fait quoi ? On va tout de suite rejoindre Hedi et Thad ?
- T’as pas envie qu’on passe un peu de temps tous les deux avant ?
- Genre tu me demandes si j’en ai envie. On va faire un tour dans le Jardin des Plantes ?
- Oui, ça va me faire du bien d’aller là-bas avant de faire style tout va bien.
- Tu n’es pas obligé de faire style. T’as le droit d’aller mal tu sais. Je n’aime pas trop les robots moi. Je ne te l’ai jamais dit ?
- Non, mais ça va aller... Je ne devrais pas me mettre dans cet état. Ils ne le méritent même pas. Et puis je l’ai envoyé se faire foutre, c’est fait, je ne vais pas revenir en arrière. Je ne peux pas. Et ne le veux pas de toute façon. J’aurais peut-être juste dû employer d’autres termes.
- Tu sais mon chéri, c’est peut-être ce qu’il fallait que tu fasses pour aller de l’avant et devenir vraiment indépendant.
- Selon toi je ne l’étais pas assez ?
- Tu avais peut-être peur de l’être. Parce que ça signifie grandir et s’assumer. Et puis surtout assumer ce que tu es même si ça n’est pas du goût de tes parents. Je t’admire Boris tu sais.
- Il n’y a vraiment pas de quoi. J’aurais préféré que ça se termine autrement. J’ai été irrespectueux là.
- Parce que ton père t’a respecté peut-être ?
- Non. Mais mes paroles ont été dures. Oui c’est bon. Ne dis rien, tu vas me dire que les siennes aussi ont été dures.
- Tout à fait. Il n’a même pas cherché à comprendre ce qu’était ta vie, ce qui faisait ton bonheur. Et ça jamais à priori. Il voudrait que tu sois à son image et tu ne l’es pas et ça, ça le chiffonne.
- A ce niveau là, c’est même plus que ça le chiffonne. Ça le fait vomir.
- Tes parents ne te méritent pas. Ils ne savent tellement pas à quel point tu es merveilleux. On devrait dresser des autels à ta gloire ! »

Et là, sur un quai glacial et désert d’une gare de banlieue huppée, j’ai continué à démontrer à l’Homme de ma Vie que c’était peut-être aujourd’hui le véritable commencement de sa vie. Il était libre maintenant et il devait en profiter une fois qu’il aurait digéré tout ce ressentiment. On a coutume de dire que l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. Désormais, je serais plutôt du genre à croire que l’avenir appartient surtout à ceux qui ont le courage d’être ce[ux] qu’ils sont et qui n’ont pas peur de le clamer haut et fort à la face du monde.
Boris D. je vous aime.