jeudi 22 juillet 2010

Chapitre 28 - Blanc et Noir -


Jeudi 7 janvier 2010




On ne pouvait plus voir un seul centimètre carré de trottoir. Tout était recouvert par une épaisse couche de neige fraîchement tombée qui malheureusement, ne tarderait pas à troquer son blanc immaculé pour un ton plus crasseux, une bouillasse marronnasse et grumeleuse qui ne pardonnerait pas le moindre faux pas. J’en avais encore fait la douloureuse expérience la veille. Non content d’avoir réussi à revenir de Monoprix (dix minutes en temps normal, vingt par temps neigeux) sans la moindre glissade, je m’étais retrouvé en mode Bambi à moins d’un mètre de ma porte. Heureusement qu’il était 19h30 et qu’à 19h30 au mois de janvier, à Rouen, il n’y a déjà plus un chat dehors. Je m’étais fait mal mine de rien ! En plein sur le coccyx, ça n’a franchement rien d’agréable ou alors il faut aimer les trips un peu bizarres...
De toute façon, la journée avait mal débuté. Pour changer, ma classe de Première me filait la nausée et plus le temps passait, plus je n’avais qu’une seule envie, courir dans le bureau du proviseur et hurler « Je me casse ! Je n’en peux plus ! Je vais tous les buter ! ». Est-ce que cela aurait été vraiment très intelligent, sincèrement, je n’en suis pas certain mais des fois, ça ferait pas de mal d’arrêter de faire des choses réfléchies. C’est lassant à la longue. Non ? Quand j’y pense cinq minutes, je me dis qu’en plus le travail en lui-même ça va. Bon, je ne dis pas que je me vois faire ça jusqu’à ma retraite mais pour le moment, je n’ai pas à faire trop la fine bouche. Evidemment, comme je l’ai déjà dit, les verbes irréguliers et les modaux il y a plus bandant comme sujet mais à la longue on s’y habitue [et puis dans les verbes irréguliers il y a des verbes intéressants... mordre, courber, ressentir, s’agenouiller...]. Le véritable problème, ce sont les élèves. Je n’ai pas l’impression d’avoir été comme ça à leur âge. Du moins, pas autant comme ça. Ricanant, exaspérants, horripilants... On a tous traversé l’adolescence et le commencement de l’âge adulte avec plus ou moins de bol mais dans cette classe, j’ai l’impression constante que je suis tombé sur le bas du panier. Vous savez le genre de petits bouts de tissus qui restent au fond du bac à linge sale et qu’on ne sait jamais avec quoi laver, résultat, ils restent là indéfiniment. Je crois que ces Première sont de la race de ceux qui n’ont jamais vu de pubs pour Biactol ou Head&Shoulders. Ça fait peur de se dire que ces jeunes-là vont devenir des adultes [Attention, je ne fais pas mon vieux con de service je crois juste que pour une fois dans ma vie, je suis complètement lucide...]. Bref, tout ça pour dire que cette journée avait été merdique. Les cours furent éprouvants, le métro n’avançait pas à cause de la neige et puis cet appel sans message d’Elias. Oui, Elias. Celui-là même qui était censé ne plus pouvoir me joindre, celui pour qui (ou contre qui) j’avais jeté mon ancien portable histoire de tout bien recommencer à zéro avec Boris, mon nouvel Amoureux, l’Homme Parfait [oui, oui, il existe]. Comment avait-il récupéré mon numéro ? Certainement en remontant la filière de mes amis [non pas que j’en ai beaucoup mais il a dû taper dans de vagues connaissances à qui, un soir un peu pompette, j’avais dû filer mon numéro]. Cet appel... il était 17h02 lorsqu’il avait cherché à me joindre et depuis hier, je n’en avais toujours pas parlé à Boris. Est-ce que ça en valait vraiment la peine ? De toute façon, je n’allais pas le rappeler. La dernière fois que j’avais eu un signe de vie de sa part, on était en septembre et il avait déposé une carte d’anniversaire dans ma boîte aux lettres. Je l’avais lue puis jetée. Je ne voulais plus de ses nouvelles, je ne supportais même plus son écriture sur un bout de papier. Il ne m’inspirait plus que du dégoût... Et pourtant, j’avais passé de magnifiques moments avec lui. Je ne vais pas revenir dessus, ça ne servirait à rien. Rouvrir les vieilles plaies, c’est comme tomber sur le coccyx, ça fait plus de mal que de bien...

« Déjà debout mon chéri ?    
- Oui, je n’arrivais plus à dormir. C’était trop calme dehors. La neige rend tout trop calme.
- Ah ouais, il a sacrément neigé cette nuit. Ton métro va encore avoir un mal fou à circuler.
- Ne m’en parle pas. Ça me saoule déjà... T’as vu ces deux gamins là ?
- Ils ont l’air de galérer avec leur bonhomme de neige on dirait...
- Il ne ressemble pas à grand-chose. On dirait une Mimie Mathy en neige.
- Et en plus ils ne sont pas à l’école. Un jeudi à 9h ? Tu ne trouves pas ça étrange ? La neige rend tout bizarre en fait... T’as bien dormi sinon ?
- Ouais mais David Bowie est trop chiant. Il croit un peu trop que le lit c’est son territoire. J’avais limite plus de place. Je ne savais pas comment me foutre. Tu reveux une tasse de café ? »

Mon téléphone se mit à vibrer. Il était posé, bien en évidence sur la table basse. On ne pouvait que l’entendre. Je savais déjà que c’était Elias. Il faisait un bruit incommensurable. Si seulement ma table était recouverte de neige elle aussi, on ne l’aurait pas entendu et la journée aurait pu continuer comme si de rien n’était. Là, je savais d’ores et déjà que ça ne serait pas du tout le cas. Et moi, je restais là, paralysé face à lui, face à ses petits soubresauts dignes d’un insecte en train de rendre son dernier souffle.

« Tu ne réponds pas ? C’est peut-être important.
- Non, non.
- Simon, t’es sûr que ça va ? T’es tout pâle.
- C’est Elias. Je ne sais pas ce qu’il veut.
- Comment tu sais que c’est lui ?
- Je m’en doute, c’est tout. Il a déjà essayé de me joindre hier. »

Voilà, c’était dit et comme pour alléger encore un peu plus l’atmosphère, les vibrations cessèrent. Le silence à nouveau. Mais hélas, pas pour très longtemps.

« Pourquoi tu ne me l’as pas dit hier ?
- Je n’en ressentais pas le besoin. Ça n’est pas important. Il n’a même pas laissé de message. Juste un appel sans message et là, c’est la même chose. Je ne veux plus en entendre parler, tu le sais très bien.
- Si c’était aussi peu important, tu m’en aurais parlé justement. Et puis comment il a pu récupérer ton numéro ? C’est dingue ça !
- Rouen c’est un petit village parfois. Tout le monde connaît tout le monde. Je me doutais bien qu’un jour, il arriverait à l’avoir. D’ailleurs je dois avouer que je croyais que ce moment arriverait plus tôt. Mais bon, comme je te dis, c’est vraiment pas grave. Sans conséquence. On s’en fout mon chéri.
- Et c’est pour ça que ça fait une heure que tu médites face à la fenêtre, les yeux dans le vague ?
- Ça ne fait pas du tout une heure ! Et puis regarder la neige tomber ça m’apaise.
- Pourquoi t’as besoin d’être apaisé si tout va bien et que tout ça est sans importance ?
- Je n’ai pas que Elias dans ma vie tu sais ! Oh et puis tu sais quoi ?
- Non. Quoi ? Dis-moi !
- Je vais le rappeler de ce pas et lui dire d’arrêter de me faire chier. On ne va pas tourner autour du pot pendant 107 ans et je n’ai pas envie que s’il appelle tous les jours, tous les jours, on se prenne le chou ! Ça, non merci ! »

Alors, j’ai pris mon téléphone et j’ai fait ce que je redoutais par-dessus tout, j’ai composé les dix chiffres du numéro d’Elias.

« Et puis d’ailleurs, comment tu sais que c’est Elias ? Son numéro est enregistré dans ton portable ?
- Mais non, qu’est-ce que tu vas t’imaginer ? Désolé si en te rencontrant je ne me suis pas fait lobotomiser. Il y a des choses qui sont plus dures que d’autres à se sortir du crâne. Son numéro en fait partie. Et j’en suis désolé d’avance.
- Ne t’inquiète pas et ne sois pas désolé, je peux comprendre. »

Une sonnerie. Deux sonneries. Je savais déjà ce que j’allais lui dire. J’allais être clair et net et surtout, je n’allais pas lui laisser le temps d’en placer une. Il n’allait pas m’avoir avec ses arguments ou ses excuses pathétiques. Trois sonneries. Ça décroche.

« Bon alors, écoute-moi bien Elias. Tu ne vas pas encore une fois revenir pour foutre ta merde ! Je ne te laisserai pas faire. Tu as eu mon numéro je ne sais pas comment mais tu vas l’effacer direct parce que sinon ça va très mal se passer ! Je suis heureux désormais alors fous-moi la paix. Tu as tenu quatre mois sans me faire chier et ben, continue ! Tu m’entends ?
- Simon ? C’est Simon à l’appareil ?
- C’est pas Elias là ?
- Non, non, c’est Béatrice. Enfin la personne qui...
- Oui, je sais qui vous êtes. Passez-moi Elias, il a essayé de me joindre.
- En fait ... désolée, je ne voulais pas pleurer... Mais...
- Quoi ? Qu’est ce qu’il se passe ?
- Elias... Il est mort... Avant-hier... J’essaie de prévenir les gens qu’il connaissait... Alors je me suis dit que tu voudrais... Enfin tu vois...
- C’est arrivé comment ?... Non... En fait, ne dites rien, je vais raccrocher... Désolé, je n’aurais pas dû appeler... »

Et j’ai raccroché, éteint mon téléphone. Et je me suis effondré. Je ne sais pas très bien pourquoi je pleurais. Enfin si, je le savais mais je culpabilisais. Pourquoi mon chagrin était-il si lourd ? D’un coup, j’avais oublié toutes les douleurs qu’il m’avait causées. Je ne pensais plus à tout ça. Il me manquait déjà et ce, même si, j’avais décidé de ne plus jamais lui reparler. Et même si je le détestais, même s’il me répugnait au plus haut point, je le revis plus beau que jamais. Son sourire, sa mèche de cheveux qui n’arrêtait pas de tomber devant ses yeux, ses doigts lorsqu’il tournait les pages des livres, ses yeux lorsqu’il me regardait. Ses larmes et leur goût si spécial. Le tatouage qu’il s’était fait faire sur le poignet. Juste un mot. Un tout petit mot. Tout ça revenait, se bousculait, s’entrechoquait, me faisait mal.

« Qu’est ce qu’il t’arrive ? Qu’est ce qu’il y a ? Simon, réponds-moi. Simon ? »

Je ne voulais pas qu’il soit là. Pas en cet instant. Je voulais être là, seul, à pleurer, à être minable et dans tous mes états pour celui qui m’avait démoli et qui désormais, n’était plus. Je réussis tant bien que mal à lui dire qu’il était mort et que j’avais besoin d’un peu de temps. J’avais honte d’être aussi anéanti face à Boris. Adorable comme à son habitude, il comprit et me laissa seul.


A plusieurs reprises, le ciel s’emplit de flocons. Du blanc comme pour masquer tout ce noir qui venait de s’abattre sur ma journée et mon esprit. Je fus incapable de faire quoique ce soit ce jour-là. J’appelai le lycée pour prévenir de mon absence pendant quelques jours puis m’enroulai dans un plaid, mis David Bowie contre moi sans lui demander son avis et attendis que passent les heures et mon chagrin. Je savais que je m’en remettrais, que je ne serais pas inconsolable. Il y a quelques mois, j’aurais sûrement eu ce sentiment mais dorénavant c’était plus une douleur de celles qui vous rendent plus fort mais qui vous font également comprendre que se construire des souvenirs avec les gens est une chose capitale. Je savais qu’en ce jeudi de neige, je laissais filer quelques mois, deux années d’un immense bonheur, d’une très jolie histoire d’amour. Au fur et à mesure, mes larmes se tarirent et laissèrent leur place à une grande fatigue. Je m’endormis en pensant à lui.
Il était presque 20h lorsque Boris rentra. J’étais tellement heureux de le voir revenir. Il ramenait la vie dont j’avais cruellement manquée toute la journée.
« Ça va mon Amour ? Tu veux que je reparte ? Je peux si tu veux...
- Non, non. Surtout pas. Reste là. Viens à côté de moi, je suis frigorifié. Prends-moi dans tes bras.
- Tu te sens mieux ?
- Je ne sais pas trop. Mais ça va aller, ne t’en fais pas. Tu as fait quoi toute cette journée ? Je suis monstrueux de t’avoir viré.
- Je comprends. Dans de telles circonstances, j’aurais eu besoin d’être tout seul aussi. J’ai mangé dans un petit resto qui vient de s’ouvrir dans le quartier. Il faudra qu’on y aille tu verras c’est super sympa.
- Tu y as mangé tout seul ?
- Non. J’y suis allé avec Andreas. C’était cool. Et après on s’est fait deux films. Et avant de rentrer je suis allé jouer à la Wii chez lui. Tu vois je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer.
- Et vous êtes allés voir quoi ?
- Max et les Maximonstres et Bright Star. J’ai vraiment beaucoup aimé les deux.
- Je culpabilise moins alors si t’as passé une bonne journée.
-Tu n’as aucune raison de culpabiliser. T’as essayé de rappeler ?
- Non, je n’y arrive pas. J’ai trop peur d’en savoir plus.
- Il va bien falloir quand même. Et tu comptes aller à son enterrement ?
- Chut. On en reparlera demain si tu le veux bien mais plus ce soir. Embrasse-moi juste pour le moment. »

A 23h, après un long moment d’oubli passé sous les mains de Boris, je me décidai à recomposer le numéro d’Elias. Autant ne pas attendre qu’un nouveau jour se lève pour m’accabler de nouveau.

« Allo ?
- C’est Simon. Je suis désolé pour tout à l’heure.
- C’est pas grave, je me doutais que ça t’affecterait. Il n’arrêtait pas de parler de toi tu sais.
- Je ne préfère pas parler de ça s’il vous plait. J’appelle juste pour savoir ce qu’il lui est arrivé. C’est tout.
- Oui, excuse-moi. Je parle trop. Il a fait une rupture d’anévrisme. Avant-hier matin, dans la salle de bains.
- Il vivait chez vous ?
- Il était revenu il y a quelques semaines mais il dormait sur le canapé je te rassure. Il était revenu pour mon fils enfin notre fils...
- Je m’en fous, je ne demandais pas ça pour ça. Il est mort sur le coup ?
- J’étais partie faire les courses, je l’ai retrouvé comme ça en rentrant. Je ne sais pas s’il a souffert si c’est ce que tu veux savoir. J’aurais pu faire quelque chose si je n’étais pas sortie. Je m’en veux terriblement. Il n’était pas vraiment en forme ces derniers temps, surtout depuis Noël...
- Vous avez prévu quoi pour la cérémonie ?
- La cérémonie ?
- L’enterrement.
- Je ne sais pas encore, il y a tellement à faire. Ses amis veulent faire quelque chose demain soir si tu es libre.
- Je ne pourrai pas. Je viendrai à l’enterrement par contre.
- D’accord, je t’appellerai dès que j’en saurai plus.
- Je préfère un texto si possible. Et pas de son portable, du votre ça serait mieux. Désolé pour toutes ces requêtes stupides.
- Pas grave. Je me doute que ça t’affecte énormément.
- J’attends de vos nouvelles alors.
- Mais tu peux me tutoyer, tu sais.
- Au revoir et excusez-moi de vous avoir dérangée si tard. »

J’avais à nouveau envie de pleurer. Je l’imaginais seul, allongé sur un carrelage sans doute glacé, le visage figé dans une ultime expression. J’avais mal et je lui en voulais de me faire encore du mal d’où il se trouvait. Pour Boris, je décidais de tout garder tout pour moi. Il ne méritait pas ça.

« Tu y as peut-être été un peu fort ?
- Je suis resté poli, non ?  Et puis je n’ai aucune raison de sympathiser avec elle. Elle a quand même brisé mon couple.
- Oui mais indirectement elle nous a permis de nous rencontrer !
- Ouais... Enfin si on en va là, on n’en finit plus... Tu veux peut-être que je la rappelle pour la remercier aussi ?
- Non, non, ça ne sera pas nécessaire. Ça va sinon, tu vas tenir le coup ?
- Je suis triste, ça c’est évident. Et il va me falloir quelques jours. Mais bon, il faut que je me dise que la vie continue et puis j’ai quand même déjà perdu mon frère ça va me permettre de relativiser, je crois. Je m’excuse par avance si je craque et que je fonds en larmes dans les prochains jours. Ce n’est pas que j’éprouve encore quoi que ce soit pour lui mais Elias parti, c’est un pan de ma vie qui fout le camp et ça me fait tout drôle... Je n’étais pas vraiment préparé à vrai dire.
- On ne l’est jamais je crois bien. Et s’il te plait, ne t’excuse pas de pleurer ou d’être un tant soit peu humain, c’est plutôt rassurant en fait. Je t’accompagnerai à l’enterrement si tu veux. Enfin juste si t’en as envie.
- Il ne faut pas te sentir obligé. Je peux demander à Norma. D’ailleurs il faut que je la prévienne, j’ai complètement oublié.
- Peut-être qu’elle est chez elle. Tu veux que je la bippe ?
- Ça m’étonnerait qu’elle soit là. En ce moment, elle est tout le temps fourrée chez son Justin.
- T’es jaloux ou quoi ?
- Mais non, pas du tout ! Au contraire, je suis heureux qu’elle soit avec Justin. Il est vraiment gentil. Seulement, je sens que pas mal de pages se tournent en ce moment. Tu ne trouves pas toi ? Clara qui bosse dans les bidonvilles de Calcutta. Pierre et cette australienne. Thad et Hedi. Maintenant Elias qui se fait la malle.
- Peut-être que ça veut dire que nous aussi on devrait tourner quelques pages ?
- Peut-être bien, mais je pensais en avoir déjà tourné quelques unes. Ça ne devait pas être suffisant à priori. Tu crois que nous aussi on devrait partir en Inde comme Clara et Pierre ?
- Je ne suis pas très convaincu par cette idée. On pourrait simplement commencer par déménager. Tu en penses quoi ?
- Pour aller où ? Changer de ville ? J’aime bien Rouen moi.
- Non. Mais aller ailleurs. Moi aussi je me plais à Rouen. Andreas connaît quelqu’un qui loue des appartements en centre-ville. On pourrait le contacter. Qu’est-ce qu’on risque ?
- Il faudrait que tu trouves un job avant. Ça serait pas mal. On va finir par galérer si ça continue. Et sincèrement, tu crois qu’on trouvera un endroit aussi bien que la rue eau-de-robec ?
- Je ne sais pas mais qui ne tente rien n’a rien. Il faut qu’on trouve un endroit qui soit vraiment fait pour nous. Un endroit qu’on aura choisi tous les deux.
- Tu ne te plais pas ici ?
- Mais non, c’est pas ça ! C’est juste qu’ici c’est trop connoté toi et...
- Elias...
- Oui. Je pense que ce qui s’est passé aujourd’hui c’est un signe. Tu veux tourner des pages, alors commençons par cet appart ! Et en ce qui concerne un job, fais-moi confiance, je sens que ce problème va être vite réglé. En attendant, tu veux un verre de vin ?
- Pourquoi pas. Mais il y a quelque chose que je devrais savoir ?
- Non, non, je crois juste que bientôt on aura la vie que l’on mérite tous les deux. Tu me fais confiance ou pas ?
- Toujours. Et puis de toute façon ce soir, je crois bien que je serais incapable d’aller contre la volonté de qui que ce soit. J’ai utilisé mes ultimes forces dans ce dernier coup de fil. »

A minuit lorsque Boris décida d’aller se coucher, il neigeait toujours, comme si ça ne devait jamais s’arrêter. Un chat noir traversa la rue en courant et ses petites traces de pattes furent aussitôt recouvertes. Et moi, j’étais toujours devant ma fenêtre à repenser à Elias. Je savais que la douleur s’estomperait petit à petit et je m’accordais quelques semaines pour ce faire. En repensant à lui, aux chansons qu’il aimait chantonner, à sa façon de nouer ses lacets et à des dizaines d’autres petites choses anodines le concernant, quelques larmes perlèrent à nouveau sur mes joues. Mais à cet instant, j’eus déjà l’impression que la tristesse qui m’avait hanté toute la journée avait partiellement cédé sa place à une certaine nostalgie. C’était bon signe. J’entamais donc mon deuil avec les deux meilleurs alliés du monde, Boris et tous mes souvenirs et, si Elias était quelque part ce soir-là et que par je ne sais quel miracle, il pouvait m’apercevoir, je pouvais affirmer sans trop me tromper qu’il était heureux de me savoir bientôt simplement nostalgique.