dimanche 7 février 2010

Chapitre 18 -Un goûter chez Dame Cakes-

 Vendredi 4 Septembre


« Simon. Simon, réveille-toi. Ça fait déjà deux fois que ton réveil sonne. Il est 7h14 là.
- Non. J’ai pas envie d’y aller. Je vais sécher je crois.
- Mais c’est la rentrée ! Sois pas bête. Et puis, c’est toi le prof ! Les profs ne sèchent pas ! Allez, lève-toi. Ça va passer vite et ce soir t’es en week-end.
- Tu crois ?
- Que quoi ?
- Ça va passer vite. T’en es sûr de ça ?
- Mais oui ! Allez, va sous la douche et moi pendant ce temps là, je fais du café. »

Et voilà, c’était la rentrée, le pire moment de l’année. On croit que c’est dur juste pour les élèves qui traînent la patte pour retrouver le chemin de l’école, c’est faux, c’est aussi dur pour nous, le ‘corps professoral’ comme on dit. Enfin, ça l’est pour moi en tout cas ! Ah si seulement je pouvais rester sous la douche pendant des heures c’est tellement bon. Et puis il va falloir que je reprenne le métro, que je retrouve tous ces collègues qui m’insupportent. Seul point positif, je vais revoir Antonin, le prof de Lettres super sexy. Oui mais ce n’est pas suffisant pour me motiver ça. Si seulement je pouvais faire cours en visioconférence avec une photo dédicacée d’Antonin au-dessus de mon bureau. Là, ça serait parfait !

« Tu veux qu’on se retrouve en ville cet après-midi ?
- Si tu veux ! Tu vas réussir à te repérer ? On peut se retrouver devant le Palais de Justice vers 16h20, ça devrait être bon. Tu vas trouver ?
- Mais oui ! C’est rue Jeanne d’Arc c’est ça ?
- Exactement ! T’es parfait mon chéri ! Bon allez, souhaite-moi bon courage parce que j’en ai besoin !
- T’en fais pas, ça va aller. J’aimerais bien être une souris pour pouvoir te regarder donner tes cours, tu dois être outrageusement sexy !
- T’es bête ! Allez, je file ! Oh, mais j’y pense, on ira goûter chez Dame Cakes ! Depuis le temps que je t’en parle ! »

En descendant les marches, j’étais en train de calculer le temps qu’il me restait avant d’être en retard au lycée. Pour le premier jour de l’année, ça le ferait moyen. Plus que trente minutes. Ça pouvait être gérable, le tout c’était de ne pas traîner en route. D’un autre côté, je ne voyais pas ce qui pourrait me détourner de mon but, un vendredi à 8h du matin. Sauf peut-être, la personne qui arrivait dans ma direction. Norma.

« Alors ça y est ! On retourne au charbon ? C’est pas trop tôt !
- Ne m’en parle pas ! Mais t’es déjà debout toi ? C’était si naze que ça hier soir ?
- Pas du tout, je voulais acheter le petit-déj avant qu’il ne se réveille.
- Quoi ? Le Justin a dormi chez toi ?
- Oui. T’es épaté hein ?
- Ben ouais. Et à la bourre aussi. On en reparle plus tard ? Tu bosses aujourd’hui ?
- Non. Je reprends demain.
- Ben viens chez Dame Cakes avec nous cet aprèm. 16h30 c’est bon ?
- Ok darling ! Amuse-toi bien !
- Tu vas certainement plus t’amuser que moi ! »

Arrivé devant mon lycée, la routine m’a foutu une grosse claque dans la figure. C’était bel et bien fini. Je n’avais pas remis les pieds ici depuis le mois d’avril. Il y avait eu la fin de mon histoire avec Elias, ma chute, mes larmes, mon envie d’en finir puis mon séjour en Bretagne, ma petite thalassothérapie personnelle à coups de longueur en dos crawlé, mon retour, mes retrouvailles avec mes amis que j’avais délaissés trop longtemps, bien trop longtemps, nos soirées, nos éclats de rire et enfin, ma rencontre avec Boris, mon coup de foudre, ma délivrance. Tout était allé tellement vite. Nous étions début septembre et une nouvelle année commençait. De nouveaux élèves, des politesses hypocrites envers mes collègues et puis, leurs sourires compatissants sans doute aussi. Posté au milieu de tous ces adolescents se racontant d’un air dépité leurs histoires de vacances, je me fis le serment que ce serait la dernière année. Ma dernière année d’enseignement. Je rêvais de tellement autre chose. Oui, mais de quoi ?

Malgré mon peu de motivation et mon envie de prendre mes jambes à mon cou entre deux cours, la journée passa dans l’ensemble assez vite. 16h l’heure de retrouver mon ‘dulciné’. A nouveau passage par la case métro avec son lot de gens malodorants à la tronche en biais. A 16h23 j’étais devant le Palais de Justice. Lui aussi, il était là, il m’attendait. Une rose rouge à la main. Il était magnifique.

« Alors mon chéri, ça a été ? Pas trop dure cette journée ?
- Pas dure mais avant même d’y mettre les pieds, j’en avais tellement pas envie ! Je n’avais jamais connu une aussi grosse flémingite ! Je crois que tu m’aurais proposé une rétrospective Jessica Simpson, j’aurais été plus partant.
- Ça s’est vu à ta tête ! On aurait dit qu’on t’emmenait à l’abattoir. Je ne suis pas certain qu’on aurait de quoi faire une rétrospective avec les trois pauvres films qu’elle a faits. Ah, tiens, ça c’est pour toi.
- Oh c’est adorable. Merci mon chéri, elle est superbe et en plus, elle sent bon!
- C’est clair que c’est rare maintenant les roses qui sentent quelque chose. En passant j’ai réservé chez Dame Cakes, je me suis dit qu’à 16h30 ça serait un peu la crise du logement.
- T’es parfait ! Je n’ai rien d’autre à ajouter. T’as trouvé la rue tout seul ?
- J’ai regardé sur mappy. Je suis débrouillard qu’est ce que tu crois ?
- Je n’en doutais pas une seule seconde ! J’ai dit à Norma de nous rejoindre, elle a des trucs croustillants à nous raconter, ça ne t’embête pas ?
- Pas du tout mais j’ai réservé pour deux.
- Ne t’inquiète pas. Il connaisse bien Norma là-bas, elle y a travaillé un été. On va bien s’arranger. »

Dame Cakes fait partie de mes endroits préférés à Rouen. J’aime tout là-bas. Le décor, un ancien salon de thé de style anglais avec petit jardin intérieur. Le thé, les gâteaux, la vaisselle. A chaque fois, j’ai l’impression d’être dans Harry Potter. Un petit endroit cosy et pittoresque digne de Pré-au-Lard.

« Vous avez fait votre choix ?
- Vous avez encore du crumble poires/chocolat ?
- Il en reste deux parts. Je vous en mets une ?
- Oui et un thé Marco Polo s’il vous plait.
- Je vais prendre la dernière part s’il vous plait, à moins que tu la veuilles Norma ?
- Non c’est bon Boris. Moi ça sera fondant au chocolat et chocolat chaud. Non, non, je n’aime pas le chocolat. Je ne vois pas ce qui vous fait dire ça.
- On n’allait rien dire. Et vous jeune homme avec le crumble ?
- Un Marco Polo également.
- C’est entendu. Je vous ramène tout ça.
- Alors Simon ? Cette rentrée ?
- Pas motivante. Je ne veux pas refaire mon enfant gâté mais j’en ai trop marre. Et puis j’ai une classe de Première qui risque de me donner du fil à retorde surtout deux ou trois élèves d’ailleurs.
- Ah ouais ? Dès le premier jour ils se sont faits remarqués ?
- Plus ou moins. Bref, je n’ai pas très envie d’en parler là. Ne gâchons pas cet instant parfait avec mes histoires de lycée. Et toi alors ? Cette soirée avec Justin ? Ça va mon chéri ? Tu ne dis rien.
- Je vous écoute. T’en fais pas quand j’aurai envie de parler je saurai vous le faire comprendre.
- Non allez je t’en prie, raconte-moi un peu ce qu’il y a de neuf depuis qu’on s’est vu ? Comme ça, moi je garde mon histoire pour la fin, ce qui va faire enrager Simon. Eléanore va bien ?
- Oui elle va bien. Elle fait un peu la gueule ces derniers temps. Enfin pas méchamment mais elle boude on va dire. Elle vit mal le fait que je veuille quitter Paris.
- Une heure en train ça va vite, j’en sais quelque chose.
- La séparation va être difficile mais ça ne peut pas nous faire de mal.
- Et d’ailleurs, quand aura lieu cette séparation ?
- Je ne sais pas trop encore, je pense que d’ici à la fin du mois ça sera bon. Il faut qu’on trouve des gens pour nous aider à déménager et qu’on fasse de la place chez Simon.
- Ça va me forcer à faire un peu de tri. Et puis, ce qui est cool, c’est que David Bowie aura plein de nouveaux meubles pour faire ses griffes.
- Je ne suis pas sûr que le mot ‘cool’ soit le plus adéquat...
- Et tes parents ? Ils en disent quoi ?
- Ils ne sont pas trop pour mais du moment que je continue mes études, il n’y voit pas d’objections. Enfin, ça c’est pour le moment, je sais comment ils fonctionnent. Ils se chargeront bien de me faire quelques remarques bien saignantes quand le moment sera venu.
- Ça promet... Tu veux aller à la fac à Rouen ?
- Dans un premier temps je vais continuer à Paris et après je verrai. Ce crumble est vraiment divin.
- Tu vois, je ne t’avais pas menti. Bon Norma, vas-y maintenant c’est ton tour !
- Ben on est allés au resto hier soir et on a vraiment bien discuté.
- Et c’est tout ? Des détails ! Vous avez mangé où ? Il fait quoi dans la vie ? Il vit où ?
- Et voilà l’interrogatoire va commencer. Bon courage Norma !
- Alors. On a mangé au 16/9ème.
- La classe ! Et c’est bon alors ? Il a payé j’espère ?
- Oui c’était délicieux mais si à chaque réponse, tu rajoutes deux questions, on ne va pas s’en sortir ! Et non, on a séparé l’addition en deux. J’ai insisté ! Je suis indépendante, t’as oublié ?
Sinon, il est en Droit, en 3ème année à Pasteur et il habite près de la place du Vieux.
- Et donc après, il est venu chez toi ?
- Ben ouais, je l’ai invité à boire un verre à l’appart et un truc entraînant un autre, on s’est embrassé etc, etc...
- Et ce matin, il était toujours aussi craquant ? Il ne s’était pas changé en affreux crapaud couvert de verrues ? Parce qu’après tout tu l’as toujours vu que sous des lumières artificielles.
- Non, non il était toujours aussi parfait. Et oui, moi aussi j’ai le droit de tomber sur un mec digne d’un magazine.
- Le mien est bien plus canon. Regarde, même la bouche pleine il est sexy !
- Vous pourriez arrêter cette discussion, vous me mettez légèrement mal à l’aise.
- Désolé mon chéri mais des fois, des vérités essentielles doivent être dites !
- Et mais tu sais quoi ?
- Non quoi ?
- Ben Justin il a aussi pas mal de sa famille à Saint-Malo et dans les environs ! Le monde est petit quand même ! Tu l’as peut-être déjà vu ! Peut-être même déjà mâté, ce qui ne m’étonnerait pas.
- Ouais, ben moi, ça m’étonnerait. Je ne vois pas souvent de mecs qui me font baver là-bas. Et on le voit quand ?
- C’est clair, quand est-ce qu’on le voit ?
- Je pensais l’inviter à ton anniversaire. Ça serait la bonne occasion non ?
- Carrément. Le tout c’est que je l’organise parce que j’en parle beaucoup mais je n’ai encore réfléchi à rien. Va falloir que vous m’aidiez.
- Quand tu veux ! Ce soir vous avez un truc de prévu ? Tu voudrais faire ça quand ? Et t’invites qui ?
- Ah ça y est, l’ordre s’inverse, c’est toi qui poses les questions maintenant !
- Ce soir, je crois qu’on ne fait rien. Tu voulais faire un truc en particulier Boris ?
- Pas spécialement. Et puis la préparation de cette fête me dit bien.
- Cool. Ben t’as qu’à nous préparer un truc dont tu as le secret alors. Simon m’a dit que tu adorais faire la cuisine.
- Euh...oui pourquoi pas. Avec plaisir même. »

Alors là, j’étais sur le cul. Il n’avait rien dit ! Même pas haussé un sourcil. Il avait juste accepté gentiment, adorablement, avec ce petit sourire sincère qui me faisait tellement craquer. Pourquoi lorsque c’était moi, il montait sur ses grands chevaux et était prêt à dégainer. Il n’y avait aucune justice dans ce bas monde. J’allais devoir mettre au point certaines choses.
« Alors on dit 20h45 chez vous ?
- Pourquoi pas avant ? On peut y aller directement après, non ?
- J’ai deux ou trois courses à faire. Vous n’avez même pas remarqué que j’avais dit ‘chez vous’ ! Vous êtes tellement niais.
- J’avais remarqué mais ça ne m’a pas du tout choqué. Et toi Boris, ça t’a choqué ?
- Pareil. Et méfie-toi Norma, ça vient plus vite que prévu ce genre de trucs. Tu vas voir avec Mr Timberlake.
- Ahaha, très drôle... Jamais je ne serai aussi niaise que vous. Plutôt mourir ! Quand tu le rencontreras, évite les petits noms foireux par contre.
- Ça pourrait être pire, je pourrais l’appeler Mr Bridou et là, ça serait vraiment la honte !
- Bref, 20h45 et j’amène le vin et les bristols pour prendre des notes. Va falloir qu’on réfléchisse aux invités, au thème, à la musique, à la bouffe et aux animations aussi !
- Doucement quand même, je veux un truc chic. Enfin pas chic/guindé mais pas genre fête chez les ch’tis. Alors les animations on va oublier.
- On en reparlera ce soir. Et puis ça, c’est juste pour avoir l’air cool devant les parisiens. Je te connais Simon. T’es un beauf, t’es un beauf ! Assume !
- T’es vraiment une pute toi ! C’est toi la beauf d’abord ! Je te rappelle les expressions que tu me sors des fois ou ça va aller ?
- Bon c’est fini là ? Bonjour la cour de récré ! Et que diriez-vous si je faisais des lasagnes aux légumes ce soir ? Et une mousse de framboise en dessert ?
- Tu vas avoir le temps de faire tout ça ?
- Bien sûr ! Et puis Simon m’aidera, il fera la vaisselle ! »

Finalement, nous avons accompagné Norma. Il ne fallait pas briser l’harmonie d’un moment aussi agréable. Elle aimait bien Boris et c’était réciproque. Ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Deux ou trois magasins, Picard pour des framboises surgelées puis Monoprix pour le reste. Et retour rue Eau de Robec dans nos appartements. Il fallait tout préparer. Eplucher les légumes, préparer la sauce, faire cuire la viande, préparer des amuse-bouches. En regardant Boris faire, j’étais tellement fier et tellement impressionné. Tout ce qu’il faisait semblait si simple à faire ! Peut-être que ça l’était et que effectivement, l’amour me rendait niais. Mais je m’en fichais et me prenais même à rêver qu’un jour, ça serait notre quotidien. Faire à manger, préparer de magnifiques et succulents plats pour régaler nos clients. Je savais qu’un jour ça arriverait, il fallait juste que je sois patient. Mais ça n’était tellement pas mon point fort. A 21h, Norma entra et cette soirée mémorable allait pouvoir commencer.
Ce qu’à cet instant, nous n’imaginions pas, c’est qu’en plus d’être mémorable, cette soirée allait surtout être très mouvementée. Bien trop mouvementée...