Vendredi 24 Juillet
Je crois que j’ai réussi à éviter le comité d’accueil « cotillons/ langues de belle-mère » que me réservait Norma. Je monte lentement les marches qui mènent à mon appartement. Tout est calme lorsque je passe devant celui de Norma. J’ai hâte de retrouver David Bowie. Je sens mon portable au fond de ma poche de pantalon. Il me semble affreusement lourd. Il s’alourdit de minute en minute même. J’ai l’impression d’être Frodon Sacquet avec l’Anneau Unique autour du cou. Ouf, je n’ai pas ses pieds de Hobbit. Par contre, si je veux enfin en finir avec Elias et ses messages larmoyants, je vais devoir trouver la Montagne du Destin dans les plus brefs délais.
David Bowie fait la gueule. Ça ne m’étonne pas plus que ça. A peine un miaou de bienvenue, une esquisse de frottage contre mes jambes. C’est tout. Rideau. Le concert fut bref ce soir. Il m’en veut. Je peux le lire dans ses yeux. Et s’il est un peu content, il le cache très bien. C’est de bonne guerre. Je l’ai laissé aux mains de ma meilleure amie totalement déjantée pendant cinq longues semaines ce qui en vie de chat équivaut à peu de chose près à 19 semaines soit 4 mois et 3 semaines. Presque le délai légal d’avortement en Roumanie si on se fie au film Palme d’Or en 2007. Donc David a le droit de bouder, je ne lui en tiendrai pas rigueur. Et puis je sais que si demain je lui apporte des crevettes bien fraîches, bien roses, il va ranger sa rancœur au placard en moins de temps qu’il ne faut pour dire le nom du bien nommé film en roumain. A part quelques petits coups de griffe sadiques sur mon joli papier peint, pas de dégâts à signaler. J’aurais mal vécu de rentrer et de me retrouver dans un simili squat designé par le Philippe Starck à poils longs.
On frappe. Le répit fut de courte durée. Quatre minutes. J’hésite à faire le mort. C’est ma grande spécialité. Je suis là. Je ne suis plus là. Je m’assois en silence sur le bord de mon lit et attends patiemment que l’indésirable parte comme il est arrivé. On re-frappe. Si j’étais hystérique, je me lèverais d’un bond et j’irais hurler sur cette personne qui ne connaît manifestement pas le respect de la vie privée. Mais bon, je ne suis pas hystérique.
« Bon tu m’ouvres oui ou merde ? Je sais que tu es là, je t’ai entendu monter, mettre ta clé dans la serrure, ouvrir ta porte et traiter ton chat de boule de poils ingrate. »
Note pour plus tard : Refaire l’isolation phonique de mon appartement et/ou revoir mes techniques d’espion surentraîné.
« Je te préviens, je ne bougerai pas de là. »
Pas le choix. Plus le choix. Résigné, je me lève et vais ouvrir la porte.
« M-o-n D-i-e-u ! Non je ne le crois pas ! Mais c’est bien lui ! Le seul, l’unique Simon Ellois ! Je peux te toucher pour être sûre que ce que je vois là n’est pas le fruit de mon imagination tordue ?
- Oh ça va ! N’en rajoute pas. Oui c’est bien moi ! En chair et en os !
- Oui surtout en chair d’ailleurs si je peux me permettre.
- Quoi ? T’insinues quoi là ? J’ai grossi c’est ça ? Tu trouves ? Non sincèrement ? Allez dis moi. Tu trouves. Je le savais que j’aurais pas dû prendre trois fois du tiramisu avant-hier soir. Putain, métabolisme de merde. J’ai pourtant fait sup…
- Bon c’est bon là, la tirade du diet-freak ? J’ai dit ça pour rire. Je vois au moins que tu as ramené Mr Susceptibilité Exacerbée dans tes bagages. Si t’avais pu le laisser là-bas celui-là.
- Alors c’est vrai ? C’est sûr ?
- Quoi donc ?
- J’ai pas grossi alors ?
- Mais non crétin. Tu es toujours aussi astral. Alors content d’être rentré ?
- Oui pour le moment ça peut aller. Bon ben viens t’asseoir, reste pas debout comme une démarcheuse de France Loisirs.
- Je suis bien élevée c’est tout.
- Mais oui c’est ça. Dois-je te rappeler que t’as jamais ouvert le Nadine de Rothschild pour les Nuls que je t’ai offert il y a plus de deux ans ? »
Finalement, Norma a mangé avec moi. Enfin, c’est surtout elle qui a mangé. Moi j’ai picoré quelques cornichons [les cornichons c’est mon fond de commerce] tellement persuadé qu’en fait elle disait vrai tout à l’heure, que j’avais bel et bien grossi et que plus jamais je ne pourrai ressortir de chez moi, tellement mon derrière sera devenu imposant. Les portes sont étroites dans les vieux immeubles rouennais. Puis Clara [ma 2ème meilleure amie] a frappé à ma porte. Je lui ai ouvert simplement parce qu’elle amenait une bouteille de vodka. Et enfin, Pierre [mon seul et unique ami hétéro que je tente vainement de faire basculer du côté obscur] est arrivé. Une bouteille de Vittel à la main. Tous les quatre, nous avons rattrapé le temps perdu, je me devais de savoir comment c’était passé leur mois de Juillet. Les trucs qu’ils avaient faits. Les concerts qu’ils avaient vus. Et le concert des Ting-Tings alors ? Et le reste. Tout ce reste qui fait que même cinq semaines loin d’eux, j’ai l’impression qu’il manque une partie de moi. Et puis, j’étais parti comme un voleur. Trop ébranlé par mes histoires de cœur. Mon histoire de cœur. J’avais laissé Norma épuisée par son travail de vendeuse à Paris. Clara, elle, était une fois de plus accro à un type qui lui promettait les Bahamas, le mariage à Las Vegas et les jéroboams de champagne qui vont avec. Et Pierre, comment ai-je pu le laisser à ce moment si critique ? Je suis un piètre ami en fait.
« Et Elias alors ? T’as des nouvelles ?
- Bravo Pierre. Je suis pas sûre que c’est le sujet qu’il fallait aborder ce soir.
- Non c’est bon Norma, t’inquiète pas. J’ai des nouvelles oui. Mais j’ai pas très envie d’en avoir à vrai dire. Je ne suis pas encore prêt. Et en fait, mon portable est éteint depuis tout à l’heure parce qu’il a essayé de me joindre et moi, je ne pouvais pas répondre.
- En tout cas, je peux te dire que je lui ai passé un sacré savon la dernière fois que je l’ai vu. Il a vraiment abusé. C’est pas humain.
- Je veux pas que tu te fâches avec lui Clara. C’est quand même ton ami d’enfance, je m’en voudrais si c’était le cas.
- Bon et si on changeait de sujet ? Et ! Tu sais que je suis allée danser le moonwalk devant la cathédrale quand Michael Jackson est mort ? C’était vraiment… »
Et voilà comment la soirée a continué. Elias était dans un coin de ma tête mais la plus grosse partie était occupée par les exploits de Norma sur le parvis de la cathédrale. Rien que pour ça je regrettais d’être parti en vacances. J’aurais tellement aimé voir ça. Puis ils sont tous repartis chez eux, c'est-à-dire respectivement au 2ème [Norma à gauche, Pierre à droite] et au 1er étage [Clara à gauche]. Et moi je suis resté face à mon téléphone et à l’indifférence éhontée de mon chat.
Et finalement vers 3h du matin, je l’ai rallumé alors que dans mon lit, la faim me tenait éveillé et j’imaginais tous les messages possibles qu’il aurait pu me laisser. Code PIN. Message d’accueil. Trois appels en absence mais un seul message. Pour dire quoi ? La même chose encore et encore. Je le savais déjà ça et je ne voulais plus l’entendre. Bien décidé à arrêter de penser à lui et à ses pathétiques excuses, je me dirigeai vers le frigo et fis un pacte avec moi-même.
David Bowie fait la gueule. Ça ne m’étonne pas plus que ça. A peine un miaou de bienvenue, une esquisse de frottage contre mes jambes. C’est tout. Rideau. Le concert fut bref ce soir. Il m’en veut. Je peux le lire dans ses yeux. Et s’il est un peu content, il le cache très bien. C’est de bonne guerre. Je l’ai laissé aux mains de ma meilleure amie totalement déjantée pendant cinq longues semaines ce qui en vie de chat équivaut à peu de chose près à 19 semaines soit 4 mois et 3 semaines. Presque le délai légal d’avortement en Roumanie si on se fie au film Palme d’Or en 2007. Donc David a le droit de bouder, je ne lui en tiendrai pas rigueur. Et puis je sais que si demain je lui apporte des crevettes bien fraîches, bien roses, il va ranger sa rancœur au placard en moins de temps qu’il ne faut pour dire le nom du bien nommé film en roumain. A part quelques petits coups de griffe sadiques sur mon joli papier peint, pas de dégâts à signaler. J’aurais mal vécu de rentrer et de me retrouver dans un simili squat designé par le Philippe Starck à poils longs.
On frappe. Le répit fut de courte durée. Quatre minutes. J’hésite à faire le mort. C’est ma grande spécialité. Je suis là. Je ne suis plus là. Je m’assois en silence sur le bord de mon lit et attends patiemment que l’indésirable parte comme il est arrivé. On re-frappe. Si j’étais hystérique, je me lèverais d’un bond et j’irais hurler sur cette personne qui ne connaît manifestement pas le respect de la vie privée. Mais bon, je ne suis pas hystérique.
« Bon tu m’ouvres oui ou merde ? Je sais que tu es là, je t’ai entendu monter, mettre ta clé dans la serrure, ouvrir ta porte et traiter ton chat de boule de poils ingrate. »
Note pour plus tard : Refaire l’isolation phonique de mon appartement et/ou revoir mes techniques d’espion surentraîné.
« Je te préviens, je ne bougerai pas de là. »
Pas le choix. Plus le choix. Résigné, je me lève et vais ouvrir la porte.
« M-o-n D-i-e-u ! Non je ne le crois pas ! Mais c’est bien lui ! Le seul, l’unique Simon Ellois ! Je peux te toucher pour être sûre que ce que je vois là n’est pas le fruit de mon imagination tordue ?
- Oh ça va ! N’en rajoute pas. Oui c’est bien moi ! En chair et en os !
- Oui surtout en chair d’ailleurs si je peux me permettre.
- Quoi ? T’insinues quoi là ? J’ai grossi c’est ça ? Tu trouves ? Non sincèrement ? Allez dis moi. Tu trouves. Je le savais que j’aurais pas dû prendre trois fois du tiramisu avant-hier soir. Putain, métabolisme de merde. J’ai pourtant fait sup…
- Bon c’est bon là, la tirade du diet-freak ? J’ai dit ça pour rire. Je vois au moins que tu as ramené Mr Susceptibilité Exacerbée dans tes bagages. Si t’avais pu le laisser là-bas celui-là.
- Alors c’est vrai ? C’est sûr ?
- Quoi donc ?
- J’ai pas grossi alors ?
- Mais non crétin. Tu es toujours aussi astral. Alors content d’être rentré ?
- Oui pour le moment ça peut aller. Bon ben viens t’asseoir, reste pas debout comme une démarcheuse de France Loisirs.
- Je suis bien élevée c’est tout.
- Mais oui c’est ça. Dois-je te rappeler que t’as jamais ouvert le Nadine de Rothschild pour les Nuls que je t’ai offert il y a plus de deux ans ? »
Finalement, Norma a mangé avec moi. Enfin, c’est surtout elle qui a mangé. Moi j’ai picoré quelques cornichons [les cornichons c’est mon fond de commerce] tellement persuadé qu’en fait elle disait vrai tout à l’heure, que j’avais bel et bien grossi et que plus jamais je ne pourrai ressortir de chez moi, tellement mon derrière sera devenu imposant. Les portes sont étroites dans les vieux immeubles rouennais. Puis Clara [ma 2ème meilleure amie] a frappé à ma porte. Je lui ai ouvert simplement parce qu’elle amenait une bouteille de vodka. Et enfin, Pierre [mon seul et unique ami hétéro que je tente vainement de faire basculer du côté obscur] est arrivé. Une bouteille de Vittel à la main. Tous les quatre, nous avons rattrapé le temps perdu, je me devais de savoir comment c’était passé leur mois de Juillet. Les trucs qu’ils avaient faits. Les concerts qu’ils avaient vus. Et le concert des Ting-Tings alors ? Et le reste. Tout ce reste qui fait que même cinq semaines loin d’eux, j’ai l’impression qu’il manque une partie de moi. Et puis, j’étais parti comme un voleur. Trop ébranlé par mes histoires de cœur. Mon histoire de cœur. J’avais laissé Norma épuisée par son travail de vendeuse à Paris. Clara, elle, était une fois de plus accro à un type qui lui promettait les Bahamas, le mariage à Las Vegas et les jéroboams de champagne qui vont avec. Et Pierre, comment ai-je pu le laisser à ce moment si critique ? Je suis un piètre ami en fait.
« Et Elias alors ? T’as des nouvelles ?
- Bravo Pierre. Je suis pas sûre que c’est le sujet qu’il fallait aborder ce soir.
- Non c’est bon Norma, t’inquiète pas. J’ai des nouvelles oui. Mais j’ai pas très envie d’en avoir à vrai dire. Je ne suis pas encore prêt. Et en fait, mon portable est éteint depuis tout à l’heure parce qu’il a essayé de me joindre et moi, je ne pouvais pas répondre.
- En tout cas, je peux te dire que je lui ai passé un sacré savon la dernière fois que je l’ai vu. Il a vraiment abusé. C’est pas humain.
- Je veux pas que tu te fâches avec lui Clara. C’est quand même ton ami d’enfance, je m’en voudrais si c’était le cas.
- Bon et si on changeait de sujet ? Et ! Tu sais que je suis allée danser le moonwalk devant la cathédrale quand Michael Jackson est mort ? C’était vraiment… »
Et voilà comment la soirée a continué. Elias était dans un coin de ma tête mais la plus grosse partie était occupée par les exploits de Norma sur le parvis de la cathédrale. Rien que pour ça je regrettais d’être parti en vacances. J’aurais tellement aimé voir ça. Puis ils sont tous repartis chez eux, c'est-à-dire respectivement au 2ème [Norma à gauche, Pierre à droite] et au 1er étage [Clara à gauche]. Et moi je suis resté face à mon téléphone et à l’indifférence éhontée de mon chat.
Et finalement vers 3h du matin, je l’ai rallumé alors que dans mon lit, la faim me tenait éveillé et j’imaginais tous les messages possibles qu’il aurait pu me laisser. Code PIN. Message d’accueil. Trois appels en absence mais un seul message. Pour dire quoi ? La même chose encore et encore. Je le savais déjà ça et je ne voulais plus l’entendre. Bien décidé à arrêter de penser à lui et à ses pathétiques excuses, je me dirigeai vers le frigo et fis un pacte avec moi-même.
Il était temps d’arrêter les cornichons et de passer à quelque chose de plus consistant.