lundi 29 mars 2010

Chapitre 22 - Instantanés d'une Soirée -


[Par un clic droit sur le lien au milieu de la chronique vous accéderez à une vidéo de Dent May & his Magnificent Ukulélé]

Vendredi 11 Septembre



Le  meilleur moment de la journée. De la semaine même. La fin des cours. 16h. Le week-end. Derrière moi les élèves, les collègues, les verbes irréguliers et tous ces regards en coin. Je suis certainement parano mais c’est comme si tout le lycée me regardait comme une bête curieuse. Un monstre de foire. J’ai certainement besoin de repos, voilà tout. Deux jours. Ça va me remettre sur pied. Puis je serai prêt à affronter une nouvelle semaine affreuse et ainsi de suite. Heureusement que Boris est là pour me sortir de cette routine qui pourrait vite me rendre dingue. A moins que ça ne soit déjà le cas.
Il fait beau aujourd’hui. Une légère brise caresse mon visage. Après toutes ces longues heures de cours, mes poumons se déploient à nouveau dans ma poitrine et je revis. Toujours le même cirque, je suis tellement différent quand je sors du travail. Je redeviens moi-même, Simon. Je ne suis plus ce Mr Ellois qui m’insupporte. Le métro est inhabituellement désert cet après-midi. Tant mieux. J’ai hâte de rentrer à l’appartement et de me reposer. Je vais prendre un actifed, deux aspirines et dormir un peu jusqu’au retour de Boris. Ça me laisse deux bonnes heures. Besoin de me remettre de la soirée d’hier, de nos quatre heures de sommeil, de tout cet alcool bu et de ce coup de froid qui m’embrume le peu de cerveau qui me reste. Je me demande bien comment Norma a fait pour aller travailler aujourd’hui ? Et Clara ? Elle doit avoir une de ces migraine vu l’état dans lequel on l’a ramenée chez elle. Quelle soirée quand même...

-Petit Flashback-


10/09/09 – 20h15
« Alors ça y est, vous êtes prêts ? Il ne faut quand même pas autant de temps pour vous fringuer comme des mauvais garçons !
- On arrive, deux minutes !
- C’est facile pour vous, vous êtes des vilaines filles 24h/24, 7j/7. Vous avez juste eu à piocher dans vos vêtements de tous les jours. Mais pour nous, c’est tout nouveau.
- C’est ça... D’autres conneries du genre Monsieur le Petit Ange ? Je sais que je ramène ça sur le tapis mais je suis quand même bien dégoutée que Justin ne vienne pas ce soir...
- C’est clair. C’est dommage... J’en viens à me demander s’il existe vraiment ce type. T’as peut-être tout inventé...
- Mais oui Clara, bien sûr je n’ai que ça à faire dans ma pauvre vie ! Je mourrais d’envie que le voyiez en plus...
- Ça n’est que partie remise ne t’en fais pas.
- Bon voilà, moi, ça y est, je suis prêt. Alors, vous en pensez quoi ?
- Wow t’es magnifique ! Sympa le jean déchiré.
- Ouais carrément, et la coiffure, j’adore ! T’as mis des bigoudis ou quoi ?
- Non mais j’aurais peut-être dû vu comme j’ai lutté. Le perfecto, ça ne fait pas too much ?
- Pas du tout, t’es parfait ! Bon Simon ? T’es prêt ? Pire que Paris Hilton celui-là !
- Oui, me voilà. Mais promettez-moi de ne pas rire.
- Ah ouais... Quand même... C’est la première fois que je te vois avec un débardeur, ça me fait tout drôle.
- Il est beau mon chéri non ? Vous avez vu, je me suis amusé à lui faire de faux tatouages !
- J’admire le sens du détail. Et sinon, tu peux respirer dans ton slim ? Il est hyper serré.
- Il est nouveau ?
- Non, non, c’est le premier slim que je me suis acheté il y a six ans. C’est le slim de mes 19 ans... Vous vous rendez compte ? Ça fait cinq jours que je ne mange que de la soupe pour rentrer parfaitement dedans.
- Je confirme. Cinq jours que, par conséquent, je ne mange que de la soupe également.
- Oh pauvre chou. Comme si tu ne pouvais pas manger autre chose que ton chéri.
- C’est purement en soutien psychologique.
- Par contre, si je peux me permettre, tu aurais peut-être dû te mettre à la soupe un peu avant...
- Quoi ? J’ai l’air obèse c’est ça ? Putain... Je vais aller me changer alors.
- Mais non je déconne. Vous êtes sublimes tous les deux !
- T’es vraiment une garce Clara ! Bon, on devrait peut-être y aller non ?
- Ah, enfin une parole sensée ! En route mauvaise troupe !
- Je croyais qu’il y avait que ma grand-mère qui utilisait cette expression ! Je suis choqué.
- Et ben non Boris, il y a ta grand-mère et Norma. Allez hop on file ! »


21h05
J’en étais sûr, je l’avais bien dit. Le thème de la soirée était ‘Mauvais Garçons/Vilaines Filles’ et bien évidemment, qui étaient les quatre crétins qui avaient suivi ça à la lettre ? C’était Nous ! En arrivant au Vicomté, haut lieu de la branchitude pseudo argentée/hype de Rouen, ce fut le triste constat qui nous sauta aux yeux.  Mais bon, le point positif, c’est que même comme ça, on était beaux. C’était un truc inné chez nous. Et puis, deux ou trois verres d’alcool plus tard, on ne ferait même plus gaffe aux petits regards et aux rires qui allaient avec. Nous, nous étions là pour voir Dent May and his magnificent Ukulélé et rien ni personne ne pourrait nous en empêcher. Bon d’accord, je dois bien avouer que Clara, Boris et moi ne connaissions pas du tout ce chanteur américain mais il fallait faire confiance à Norma pour dénicher les chanteurs obscurs qui allaient bien marcher par la suite.
«  Vous avez vraiment envie de voir la première partie vous ? Moi je resterais bien au bar à siroter quelques kirs. Pas vous ?
- Pareil ! Par contre, pour moi ça sera whisky coca.
- Ben tu attaques fort Clara !
- Ouais, ce soir, je suis en mode bûcheronne ! Allez, c’est ma tournée ! »


Quelques verres plus tard... 21h55
« Putain ça fait du bien quand même. Picoler un bon coup, ça faisait longtemps.
- Tu devrais peut-être te calmer un peu parce qu’à ce rythme là, tu verras jamais le concert. D’ailleurs on va peut-être y aller, ça va bientôt commencer je pense.
- Quel rabat-joie celui là ! Mais attendez encore un peu. Franchement, moi j’ai bien envie de rester là.
-  Oui mais nous, on a envie de voir le concert. On est venus pour ça.
- Allez Clara, viens.
- Non Simon. Je vais rester là. Je vous ai déjà raconté que la dernière fois que je suis venue ici c’était avec Pierre ?
- Tu ne vas pas recommencer Clara.
- J’avais réussi à le traîner ici. Il avait détesté. C’était cool.
- Gé-ni-al. C’est bon ?
- Excusez-moi.
- Oui ? 
[Intervient alors une jeune fille qui pourrait être une de mes élèves. Elle a 17 peut-être 18. Ou bien 13, on ne sait jamais avec les adolescentes maintenant. Elle a une plume dans son chignon, du khôl à outrance. Une chemise en jean, un short, des ballerines. Elle semble troublée. Elle a l’air conne. L’alcool me rend mauvais. Elle regarde Boris. Qu’est ce qu’elle veut à mon copain ?]
- Je suis désolée de vous déranger. Mais...
- Ouais c’est clairement ça, tu nous déranges.
- Clara, calme-toi. Viens on va prendre l’air. Les mecs, on se retrouve en bas dans cinq minutes ?
- Ok, ok. Oui, donc ?
- Ça va vous sembler con mais avec ma copine [elle nous la montre du doigt. La même tête que sa copine. C’est son clone ou quoi ? Ah non, elle a dix bons kilos de plus dans chaque cuisse. Je vous l’ai dit, c’est l’alcool...] on a une grosse discussion. [Elle éclate de rire. Un rire aigu, court mais crispant. Elle remet une mèche de cheveux derrière son oreille. Mèche qui retombe aussitôt sur son visage. Elle rougit. Imperceptiblement, mais elle rougit] Je suis sûre que t’es mannequin et, je m’y connais pas mal en mannequin [A nouveau, la mèche], t’as pas fait des couvertures de magazines ?
- Euh... Non... Non, pas du tout...
- Ah ouais ? T’en es sûr ?
- Ben si j’avais fait des couvertures, je m’en souviendrais non ?
- Euh...Oui...Désolée alors. Je me sens bête.
- Mais non. Pas grave.
- T’es très beau en tout cas. Tu pourrais donc être mannequin sans problème.
- Bon, ça y est ? C’est fini ? C’est mon copain donc on arrête là !
- Ah, vous êtes ensemble ? Vraiment désolée. Enfin non...Mais...Je vous laisse...Bonne soirée...
- Toi aussi. T’es vilain quand même ! T’aurais pu lui dire que c’était toi !
- Pour avoir une groupie acnéique ! Youpi. Par contre, t’es jaloux mon chéri. Qu’est ce que tu craignais avec elle ?
- Rien, j’aimais juste pas comment elle te regardait. On aurait dit qu’elle contemplait une grosse tartine de Nutella. Ça me déplaisait.
- Tu me fais rire. Bon, et si on allait rejoindre Norma et Capitaine Caverne ?
- Ahaha. Oui allons-y. Elle est relou Clara ce soir. Pierre avait raison, elle a un souci en ce moment. »


23h30
« On ne va tout de même pas rentrer sans elle ! Où est ce qu’elle a bien pu aller ?
- Bourrée comme elle est, elle a quand même réussi à partir sans qu’on s’en aperçoive. C’est fort.
 - Ouais...Elle fait bien chier quand même. Moi je serais pour la laisser dans sa merde.
- Ça serait pas sympa Simon quand même.
- Peut-être mais t’as vu comment elle nous regardait quand on s’embrassait ? Genre jalouse, dégoutée et j’en passe. Je ne l’ai jamais vue dans cet état. D’habitude, elle n’est pas comme ça quand elle bourrée. J’aurais peut-être dû mettre une veste parce qu’en débardeur, j’ai froid. Il pèle ou c’est moi ?
- Non il caille là.
- Tu veux mon blouson ?
- Tu vas te retrouver comme moi. Non laisse tomber. On n’a qu’à se dépêcher de la retrouver.
- C’est pas elle là-bas ?
- Où ça ?
- Là, Place du Vieux, près de la fontaine.
[Clara est effectivement là, elle tient une bouteille de mauvaise vodka. Elle est décoiffée, son mascara a coulé. Elle sanglote.]
- Et ben alors ! Qu’est ce que tu fous là ? Et le maquillage waterproof tu ne connais pas ?
- Oh, je m’en fous du maquillage là... J’avais besoin de prendre le frais. Je me sentais mal. J’ai vomi. Vous avez vu ? J’ai vomi là...
- Cool. Tu ne veux pas qu’on l’analyse aussi ? Allez, on rentre ? Je crève de froid.
- Rentrez. Vous inquiétez pas pour moi. J’ai envie de rester là. Un peu...
- On ne va te laisser là, toute seule. A presque minuit, Place du Vieux ! T’as envie de te faire violer ou quoi ?
- Franchement, là, je m’en fous. Ça serait même bienvenu.
- Allez viens, tu vas prendre le frais en marchant.
- Non je ne veux pas. Cette soirée est nulle de toute façon.
- Non. Elle n’est pas nulle du tout. C’est toi qui la rends nulle. Et le concert était vraiment cool.
- J’aimais pas sa tête de geek et puis, il me cassait les oreilles.
- Nous, on a bien aimé ? Hein Boris ?
- Ouais c’était très sympa.
- Oh c’est bon vous. On vous a pas sonnés ! Vous êtes tellement mièvres...
- Merci... Si t’as un problème, dis-le tout de suite. Ne tourne pas autour du pot.
- Mais non, j’ai pas de problème. C’est juste que vous m’exaspérez avec votre amour parfait. Vos belles petites gueules. Vos baisers de cinéma. Vous êtes pas réels les mecs, c’est tout. C’est pas ça la vraie vie !
- Ah bon, on n’est pas réels ? C’est nouveau ça ? Faut que tu arrêtes Clara. La frustration te rend désagréable. Je ne dirai rien de plus parce que t’es bourrée mais je n’en pense pas moins. Tu me blesses là.
- Bon c’est tout ? On ne va pas commencer à régler nos comptes là !
- Et pourquoi pas d’ailleurs ? Quitte à être la meuf chiante et casse-couilles autant l’être jusqu’au bout.
- Oh c’est bon Clara... T’es soulante là. C’est Pierre qui te met dans cet état, c’est ça ?
- Ben oui c’est Pierre ! Vous croyez quoi ? Il s’est barré comme un connard. Et moi je suis là toute seule alors que c’est avec lui que je devrais être ! J’ai envie de mourir.
- T’avais qu’à le retenir.
- Il serait pas resté. Tu le sais très bien Norma. Joue pas à la conne.
- Tourne la page alors. Et puis trouve-toi un autre mec ! Il y en a d’autres à Rouen quand même !
- Des comme Boris c’est ça ?
- Bon, d’accord, je ne dis plus rien.
- Moi c’est Pierre que je veux. C’est tout. »


11/09/09 – 1h40
Le retour fut tout sauf une partie de plaisir. Tous les vingt mètres, Clara nous demandait de nous arrêter. « Je vais vomir. Je le sens. Putain, je suis vraiment trop conne... ». Et tous les vingt mètres, elle ne vomissait pas. J’étais frigorifié. Au delà de ça même. On aurait pu inventer un nouveau mot pour mon état. Mes os étaient devenus des Mister Freeze. Finalement, je regrettais d’avoir refusé une bonne dizaine de fois le blouson de Boris. Et le silence. Un silence. Lourd. Je savais que Clara regrettait ce qu’elle avait pu dire. Même si pour le moment, tout devait être très flou dans son esprit. Je lui en voulais aussi. Est-ce que j’étais devenu ça pour elle ? Juste un type qui semblait avoir une vie parfaite ? Le genre de mec qui se contrefout des autres du moment que son bonheur est assuré ? Norma pensait-elle ça aussi ? Est-ce que c’était la seule image que je renvoyais ? L’alcool lui avait fait dire ce qu’elle mourrait d’envie de dire depuis des semaines. Elle ne me connaissait pas en fait. Elle m’avait déçu et, comme souvent lorsque j’étais déçu, j’allais mettre de la distance entre nous. Inconsciemment sans doute mais lentement et sûrement. Dommage... Mais, j’aurais bien trop peur de l’éclabousser encore une fois avec mon idylle dégoulinante.
« Allez Clara, encore un dernier effort. On arrive rue de la Rép’ là.
- J’en peux plus. Je vais rester là, je crois. Venez me rechercher demain matin.
- Mais oui ! On te laisse là entre les deux conteneurs ?
- Ouais, c’est parfait.
- Non mais sérieux, tu crois qu’on va te laisser là ? Allez encore cinq minutes et c’est bon.
- Je peux plus marcher là. Je vous jure, c’est impossible.
- Tu veux que je te porte ?
- Oui.
- Non mais attends Clara ! Tu peux marcher quand même !
- Non, non, je peux pas. Boris va me porter.
- Tu exagères sérieusement.
- T’es juste jalouse.
- Par contre, évite de me dégueuler dessus.
- T’inquiète. Putain, t’es fort en fait.
- Oui t’as vu ? En plus d’être parfait avec sa belle petite gueule, il est fort mon mec !
[Pas de réponse. Aucune réaction...]
- Déjà 2h moins le quart. Le réveil va être dur demain...
- Tu prends le train à quelle heure ?
- Vers 7h. Ou même avant... Je ne sais plus l’heure exacte.
- C’est con. Moi aussi je vais à Paris demain mais je prends le train de 9h50.
- Tu y vas pour quoi ? Chercher des affaires ?
- Non, inscription à la fac. Je suis pas motivé.
- Si t’es libre, on peut déjeuner ensemble demain midi. J’ai ma pause vers 13h.
- Ben ouais carrément. Si je ne vois pas mon père, il n’y a aucun de problème.
- Et toi Simon, tu commences à quelle heure ?
- 8h30. Mais franchement je ne sais pas si je vais y aller. Je crois que j’ai choppé la crève. Je rêve ou Clara s’est endormie ?
- Non elle dort. Elle n’a pas l’air comme ça mais elle pèse son poids. Heureusement qu’on arrive.
- Mon dieu tu ne serais donc pas aussi parfaitement fort !
- Oh c’est bon Simon ! Tu ne vas pas ressasser ça pendant des siècles ! Elle était bourrée !
- Peut-être, mais ça n’excuse pas tout... ça serait trop facile... Et puis dans le genre rancunière, t’es la championne alors essaye de me comprendre un peu. Elle m’a vraiment blessé ce soir.
- Norma a raison, l’alcool fait dire pas mal de conneries.
- Toi aussi tu t’y mets. Cool... Bon ben allez border la harpie, moi je rentre me coucher... »


2h10
Pendant deux minutes, j’ai hésité entre une grande tasse de thé et une bonne douche. J’avais à tout prix besoin de me réchauffer. Même un cadavre devait être plus chaud que moi en cet instant. La douche l’emporta. Au pire, s’il le fallait je me ferais un thé par la suite. Au moment où l’eau commença à couler, Boris entra dans la salle de bains, nu comme un ver.
« C’est le seul moyen que tu as trouvé pour te faire pardonner ? Arriver à poil ?
- Me faire pardonner de quoi ? Faut pas en vouloir à Clara, elle n’était pas en forme. Ça s’est bien vu, non ?
- Ce n’est pas une raison pour dire des trucs aussi injustes et désagréables. Si ça ne t’a pas blessé toi, tant mieux.
- Je pense que ce n’est pas la peine d’en faire tout un plat. Mets un peu d’eau sur moi, tu prends tout là.
- J’ai froid, excuse-moi. J’ai passé toute ma soirée en débardeur ! Et puis oui j’en fais tout un plat parce que ça commence comme ça et puis la prochaine étape c’est quoi ?
- Mais il n’y aura pas de prochaine étape. C’était des paroles en l’air, voilà tout. Elle s’en souviendra même plus demain.
- Non. Je suis désolé mais non. J’ai tendance à croire que l’alcool délie les langues plus qu’il ne fait dire des conneries. Je vois le tableau direct moi. Je serai bientôt exclu de toutes les conversations sous prétexte que moi et ma vie parfaite, nous ne pouvons pas comprendre. A quoi bon raconter ses problèmes à Simon puisqu’il vit sur la planète des Télétubbies !
- Tu exagères !
- Et enfin, le jour où j’aurai des problèmes, et ben ce jour-là, on me balancera à la gueule que je ne devrais pas me plaindre, que je n’ai aucune raison valable. En gros écrase-toi Simon !
- Je crois vraiment qu’elle n’ira jamais jusque là.
- Moi, j’en ai peur. Et ça me rend vraiment triste. Faudrait que je fasse quoi ? Que je me repentisse d’être avec toi ? Que chaque jour que Dieu fait je me flagelle pour rendre grâce au Ciel ? »


3h
La chaleur du corps de Boris finit par me réchauffer...


  
J’ouvris les yeux à peine deux minutes avant que Boris ne franchisse la porte. Mon nez me piquait toujours autant mais mon mal de tête avait miraculeusement disparu. Boris avait une mine épouvantable. Il était pâle, cerné et avait un je ne sais quoi en plus. « Ça va mon chéri ?
- J’ai connu mieux.
- Qu’est ce qu’il y a ? Ça s’est mal passé à la fac ?
- Non ça, ça  a été. C’est mon père...
- Il t’a encore pris la tête c’est ça ?
- Si c’était que ça. En gros, il a réfléchi et vu que je veux prendre mon indépendance, ici à Rouen et bien il me coupe les vivres. Il ne me donnera plus d’argent. Résultat, tu vis désormais et officiellement avec un putain de parasite... »
Je le pris dans mes bras et lui dis que ce n’était pas si grave. Il pleurait. C’était la première fois que je le voyais pleurer. Ça me faisait bizarre. Et là, je faisais quoi ? Je descendais voir Clara et je lui disais qu’en fait le conte de fées s’était transformé en une banale histoire comme des millions de gens en vivaient jour après jour ? Non. Autant ne pas lui faire ce plaisir...


vendredi 26 mars 2010

Re : Enfin des vraies news !!! (Pas trop tôt !)



Envoyé : Lun. 07/09/09


Wow ! Enfin !

Je commençais à me demander si un jour, tu allais enfin me dire comment ça se passe à Goa. Bon, ok, moi aussi j’aurais pu te donner des nouvelles, mais il faut bien dire que Rouen c’est quand même moins exotique que l’Inde et en plus, tu connais un peu ! Bref, tu l’auras deviné ici rien de bien nouveau. Enfin c’est toujours délicat de répondre à cette question quoi de neuf... je sais jamais quoi dire. Mais ça tu le sais et je te soupçonne même de l’avoir fait exprès. Ah oui, tout bien réfléchi, il y a deux ou trois trucs de neuf.

D’abord, tu nous manques. Mais ça, pas besoin d’en faire une tartine, tu l’imagines et ça te fait plaisir je le sais. Ne plus entendre la musique venir de ton appartement, ça commence à me faire tout drôle, je crois même que je vais acheter un ou deux disques que tu écoutais. Des titres à me recommander ? Et sinon, tant que j’y pense, des nouvelles de ton père et d’un potentiel nouveau locataire ? Ça nous turlupine un peu quand même...
Sinon, depuis hier, Boris vit officiellement chez moi. Et oui ! On est allés chercher ses affaires pendant le week-end, je ne t’explique pas comment on était chargés ! Heureusement que le meilleur ami de Boris nous a ramenés en voiture parce qu’on aurait lutté je crois. Oui, oui, t’as bien lu. Le meilleur ami de Boris (aussi prénommé Virgil), celui que je croyais qui me détestait nous a ramenés ! Et en fait, il est vraiment gentil quand il n’est pas défoncé. Encore une fois, je m’étais fait des vieilles idées. Ça c’est comme Eléanore, la jumelle de Boris. J’étais sûr qu’elle allait foutre le bordel quand Boris allait venir à Rouen. Et ben non ! Elle est même super heureuse pour nous... J’en viens à me demander si je ne suis pas dans la 4ème dimension ces derniers temps. Peut-être qu’en partant tu as bouleversé l’ordre spatio-temporel ou un truc du genre... Voilà donc Boris et moi c’est parti. On a passé une bonne partie de la soirée et de la nuit à ranger ses affaires. On a mis les meubles différemment et notre appart (ça fait bizarre de dire notre appart^^) a de la gueule comme ça ! Je me faisais même la réflexion que là j’ai vraiment le sentiment que c’est notre appart à tous les 2 pas comme quand Elias vivait avec moi... Ah mais oui, c’est ça le gros ragot ! Elias est revenu. Je crois que si je ne te l’ai pas dit en 1er c’est parce que j’essaye de rayer ça de ma mémoire. C’était vendredi dernier. On passait une bonne petite soirée avec Norma et Boris et il a rappliqué. Comme la dernière fois, il gueulait dans la rue. Donc Boris est descendu et ils se sont embrouillés. J’avais un peu honte et je ne savais pas du tout quoi faire... Et vu la carrure d’Elias ces derniers temps ben Boris l’a humilié...gentiment mais humilié quand même...il a terminé dans le robec...Bon y’avait pas beaucoup d’eau mais je pense que je ne vais pas le revoir de sitôt... En tout cas, il nous a bien gâchés notre soirée celui-là et Boris t’aurais dû le voir, il était super énervé...

Alors, j’ai dit à Norma que c’était une p*** (j’ai même rajouté grosse avant, je n’ai pas pu m’en empêcher) de ne pas te donner de news et donc elle va t’envoyer un mail cette semaine. Elle m’a dit de ne rien te raconter, qu’elle le ferait elle-même donc je ne vais rien raconter (j’ai trop peur qu’elle me frappe)...je vais juste te dire que c’est Justin son prénom et qu’elle a l’air très heureuse. J’espère que ça va durer. Normalement, je dois le rencontrer jeudi soir. On va à un concert de Dent May (tu connais ? regarde sur Youtube, c’est sympa) au Vicomté. J’ai hâte.
Sinon, pour mon anniversaire, on a décidé de faire un truc coloré. Tout le monde va venir en couleurs flashy, on va boire du champagne rosé et on va manger des madeleines salées et des cupcakes...Des trucs simples mais ça risque d’être vraiment cool. Tu vas nous, ME, manquer Mon Pierre...

Voilà, je ne sais pas trop quoi te raconter d’autre. Les cours ben c’est affreux. Franchement, je ne veux pas me plaindre encore une fois sans raison, c’est sûr, j’ai du taf et ce n’est pas le cas de toute le monde mais je n’ai plus aucune motivation là c’est horrible. Et puis j’ai une classe de Première qui va me donner du fil à retordre. Y’a deux ou trois élèves qui ne supportent pas que je leur dise quoi que ce soit et qui passent le cours à se foutre de moi... Je ne sais pas ce que ça va donner... J’aimerais bien éviter de craquer en pleine classe, ça leur ferait trop plaisir. Surtout que depuis la rentrée, tous les autres profs me regardent d’un air gêné genre « pauvre petite chose qui fait pitié... » et je le supporte moyen.
Voilà c’était la minute gémissements. Que serais-je sans elle ? Pas Simon en tout cas !

Je te le redis mais ça m’a fait du bien de recevoir ton mail. Et je suis super content que ça se passe aussi bien pour toi. L’endroit où tu bosses à l’air très sympa et je ferai tout mon possible pour venir te voir. Promis. Peut-être pas avant quelques mois par contre. Mais je t’en fais la promesse. Tu pourras nous héberger ? Tu ne m’as pas dit, comment est ton appart ? Et sinon, tu ne fais que dans les Australiennes ? L’éclectisme ça a du bon tu sais. Et puis essaye avec Alberto tant que tu y es. T’es assez doué pour les baisers homo je dois bien avouer !^^ Pierre et Alberto ça sonne bien en plus... Désolé, je m’égare...

Ah oui, Clara ! En fait, j’ai sacrément comme trucs à te raconter ! Je crois bien que je vais battre le record du mail le plus long. Et c’est toi qui auras le privilège de le recevoir. Bref, Clara. Elle est aux abonnées absentes ces derniers temps. Elle est allée à Strasbourg chez sa sœur pendant quelques jours mais sinon, à part l’avoir vue en coup de vent dans l’escalier, c’est tout... Je crois qu’elle doit venir au concert jeudi, je sonderai le terrain si tu veux. Mais une chose est sûre, selon Norma, elle vit très mal le fait que tu sois parti et de ne pas t’avoir retenu... Désolé de te dire ça mais c’est la vérité... Ah la la, l’amour. Ça rend bête des fois. J’en sais quelque chose...

Bon je termine ici ce très long et passionnant mail. Boris m’attend pour aller faire les courses. Notre frigo est désespérément vide... Et il t’embrasse d’ailleurs. Boris, pas le frigo.
Redonne vite de tes nouvelles et envoie des photos aussi si tu peux ! Moi je t’en enverrai de mon anniv.
Plein de Bisous. Take care et pas de bêtises !

Simon


PS : En effet, ton adresse mail c’est vraiment la grosse lose^
PS bis : David Bowie va bien et il t’embrasse (enfin il te fait une léchouille). Quand j’ai prononcé ton prénom tout à l’heure, il a même miaulé d’une façon normale. Ce qui n’était pas arrivé depuis la chute du mur de Berlin...lol



mardi 23 mars 2010

Chapitre 21 - Des pages à Tourner - [2ème partie]



Dimanche 6 Septembre


Et de trois. Trois gros sacs remplis à ras bord d’objets en tout genre. Des cd, des dvd, des vinyles, des livres, plein de livres, des photos, des bibelots de valeur et j’en passe. Si seulement, en portant toutes ces affaires, je pouvais me déplacer une ou deux vertèbres, je pourrais manquer un peu l’école. Ah oui, j’oubliais, c’est moi le prof, je me dois d’être responsable.

« On va peut-être s’arrêter là, non ? On ne va jamais s’en sortir. On reviendra la semaine prochaine prendre le reste si tu veux.
- On a bientôt fini. Le plus gros est fait tu sais.
- Non mais sérieux, t’as soulevé ces sacs ? Ils pèsent le poids d’un âne mort.
- Ils sont un peu lourds mais ça va le faire, fais-moi confiance. Et puis, là, je n’ai plus que mes fringues à mettre dans une valise, et en plus, elle a des roulettes.
- Mouais. Le mieux c’est qu’on prenne un taxi en arrivant. On va moins lutter.
- Le mieux ça serait surtout que vous ayez quelqu’un pour vous ramener à Rouen en voiture.
- Et qui ? Tu connais beaucoup de gens de notre entourage qui ont le permis ? Et je ne vais sûrement pas demander à papa. Si c’est pour qu’il me prenne le choux, pas la peine.
- T’as qu’à demander à Virgil.
- Il ne doit pas être sur Paris. Toujours à droite et à gauche, tu sais comment il est.
- Je l’ai croisé avant-hier. Il n’avait pas l’air de bouger dans les prochains jours. Tu ne crois pas que c’est une bonne idée ? Simon, t’en dis quoi ?
- Franchement vu comme Virgil a l’air de m’adorer, je préfèrerais encore faire Paris-Rouen en trottinette, les yeux bandés.
- Il ne t’aime pas ? Il ne m’a jamais dit ça. Il te trouve timide c’est tout. Enfin je pense...
- Ah ouais ? A la soirée chez André, j’ai eu l’impression qu’il me fusillait du regard à chaque instant. J’étais vraiment mal à l’aise.
- Je crois que tu te fais des idées. Et puis, Virgil est très spécial mais pas méchant.
- Je sais Boris me l’a dit. Essaye de l’appeler si tu veux mon chéri. On verra bien. Je vais prendre sur moi.
- Je peux toujours tenter même si je suis persuadé que ça ne servira à rien. Vous savez où j’ai foutu mon portable ?
- Je crois que je l’ai vu dans la cuisine, sur le bar.
- Ok. J’arrive, je vais l’appeler.
- Alors, t’en as pensé quoi des poèmes ? J’en profite pendant qu’il est à l’autre bout de l’appart.
- Ils m’ont filé des frissons. Je les ai pas tous lus mais il y en a beaucoup de très intenses. Il a dû vivre des moments pas marrants.
- Pire. Tu n’imagines même pas. Il a essayé deux fois de se foutre en l’air. C’était une sale période. Je comprends pourquoi il veut tirer un trait là-dessus. Même si clairement ses poèmes ne méritent pas un tel sort.
- Franchement, j’aurais mieux fait de ne rien promettre. Parce que j’aimerais bien qu’il m’en parle de cette histoire.
- Laisse-lui du temps, un jour il t’en parlera. C’est sûr et certain. Faut juste pas le brusquer. T’es speed comme garçon ! Du genre à tout vouloir tout de suite !
- Tu trouves ? J’ai pas l’impression moi.
- Ouais. Mais c’est mignon, je te rassure. Vous me faites rire tous les deux. A vouloir tout savoir l’un sur l’autre comme si ça faisait trente ans que vous viviez ensemble. Rome ne s’est pas fait en un jour.
- C’est un peu l’impression que j’ai pourtant. De le connaître depuis une éternité.
- Et voilà, c’est reparti pour le quart d’heure Dawsonesque ! Il n’y en a pas deux comme toi. Mais je dois bien avouer que je suis heureuse que Boris soit avec toi. T’es un mec bien Simon. Tu veux une clope ?
- Arrête, tu vas me faire rougir. Oui, pourquoi pas.
- Bon et bien j’hallucine un peu mais il a dit oui. Il arrive d’ici vingt minutes.
- Cool ! Il était à Paris donc ?
- Ouais il comatait sur son canapé devant des rediffs de Loïs et Clark. Des trucs très constructifs en somme !
- Ils repassent Loïs et Clark à la télé ? Sur quelle chaîne ?
- Aucune idée. Tu lui demanderas quand tu le verras.
- Je ne suis pas sûr que je vais oser.
- Si tu commences comme ça, tu peux être certain que ça sera toujours la guerre froide entre vous deux.
- Putain, il est déjà 18h. Je n’ai pas vu le temps passer.
- Tu dois partir ?
- J’ai rendez-vous avec Margo à 18h30 et je voudrais passer chez moi me changer avant. D’ailleurs, elle va t’envoyer un message Simon parce que je crois qu’elle ne va pas pouvoir venir à ton anniversaire. Un obscur événement familial qu’elle ne peut pas éviter.
- C’est con. Oh, il y aura d’autres occasions je pense. Embrasse-la pour moi.
- T’inquiète ! Moi en tout cas, j’arriverai avec Sara. Dans la matinée je pense, comme ça on pourra vous aider.
- Ok c’est adorable. Merci.
- Arrête, c’est rien ! Bon allez les mecs, je file. Rentrez bien et dites bonjour à Virgil et Norma pour moi.
- Pas de problème. Merci pour tout sœurette.
- Genre tu vas me remercier pour avoir glandé, ricané et gossipé pendant trois heures. Ah et appelle les parents parce qu’à chaque fois, c’est sur moi que ça retombe quand tu ne donnes pas de nouvelles.
- Je vais tâcher d’y penser.
- Non, non tu ne vas pas juste tâcher d’y penser, tu vas le faire. Allez bisous, je suis déjà à la bourre. Margo va encore gueuler. »

Il y eut un long silence. Enfin, quelques dizaines de secondes. Un silence profond mais réconfortant après tous ces mots échangés, tout ces éclats de rire, toutes ces paroles nostalgiques. Regarde les photos de la fête pour nos 18 ans. Tout le monde était là. Putain, j’avais un look qui faisait peur ! Il est devenu quoi Clément ? On avait tellement bu ce soir-là. Tu te souviens qu’à la fin on était tous aux Tuileries complètement décalqués, à danser sur de la musique qu’il n’y avait même pas. On était un peu cons. Arrête, on était géniaux. Ces années-là étaient magiques, t’aurais dû voir ça Simon. J’aurais aimé en tout cas que tu sois là, que tu voies ça. Un long silence bienfaiteur au milieu de tout ce bazar. Et puis le regard de Boris et son petit sourire mi-gêné, mi-charmeur. Un petit sourire en coin qui laissait découvrir ses merveilleuses fossettes. Un regard qui me demandait si j’allais bien. Si ça allait mieux que ce matin. Si j’étais plus détendu. Mais derrière ce regard, il y avait une petite lueur, quelque chose qui me montrait son inquiétude. Tu as lu mes poèmes. Ça va ? Tu comprends que je ne veuille pas en parler ? Je ne me sens pas prêt. J’ai eu tellement mal mais bon, c’est fini. Puis il a replacé une mèche de cheveux et a ramassé quelques papiers éparpillés au sol. Je l’ai pris dans mes bras et l’ai embrassé partout où sa peau était visible. Il sentait bon.

« Tu sais, je crois qu’on va vraiment être bien tous les deux. C’est obligé. 
- Je n’en ai jamais douté un seul instant. C’est toi le mec flippé entre nous deux.
- Ça t’allait bien la coupe de cheveux que t’avais sur les photos de tes 18 ans. T’étais craquant.
- Tu trouves ? Moi j’aimais pas. C’était mon agent qui voulait que je les laisse comme ça.
- Ton agent ? Ah, quand tu faisais des photos ? Mon chéri était mannequin quand même, je ne m’en remets pas.
- Ben reviens-en parce que ça n’était franchement pas la joie. J’ai détesté cette expérience.
- Il y a pire quand même. Et puis tu devais être bien payé.
- Oui il y a pire c’est clair. Mais être regardé sous tous les angles 24h/24, être jugé, considéré comme un morceau de viande. Il y a mieux pour l’ego. Et bizarrement, d’un autre côté, on devient vite insupportable à vivre. Con et hautain. Même sans le vouloir.
- Oui mais au moins tu côtoies des mecs mignons toute la journée. Miam.
- Mignons d’accord mais la plupart sont tellement bêtes. Bref. Je pensais embarquer ce fauteuil là. T’en dis quoi ? Il ira bien dans ton salon, non ?
- Je l’aime beaucoup ce fauteuil. Mais tu n’as pas peur avec le chat ?
- On lui fera comprendre.
- Mon chat c’est comme les mannequins. Il est mignon mais pas très futé.
- Je ne m’en fais pas. Et puis la commode dans l’entrée aussi. Histoire de ranger mes vêtements.
- Ok. Et, on peut emmener cette petite table là aussi ? Je l’adore.
- Elle appartenait à un grand-oncle du côté de ma mère. Elle vient de Suède. Non, c’est pas du Ikéa. Je suis persuadé que t’allais sortir cette bêtise ! Ça date de bien avant qu’Ikéa n’existe même.
- Tu devrais prendre aussi quelques ustensiles. J’ai pas grand-chose moi. Et j’aimerais bien que tu me donnes des cours de cuisine.
- C’est vrai ?
- Ben oui c’est vrai. Il n’y a pas de raison que ça soit toi qui passes ton temps dans la cuisine.
- Ça ne me dérange pas tu sais. Heureusement que Virgil nous ramène parce que là on va vraiment être chargés. D’ailleurs, il ne devrait plus tarder maintenant. »

En effet, quelques minutes plus tard, il était là. Et encore une fois, tout ce que j’avais pu garder comme images de lui, tout ça s’était envolé. Ce n’était plus le même Virgil. Plus du tout même. J’en venais même à me demander si Boris n’avait pas deux meilleurs amis qui s’appelaient Virgil. Ça aurait pu non ? Il était bronzé, souriant, gentil. Où était le type qui me donnait l’impression d’être le fruit de l’amour [vraiment pas très catholique] entre Gollum et la mère dans Requiem for a Dream ? Il y avait vraiment des jours où je ne comprenais pas tout. Un peu comme une petite personne âgée regardant la vie passer assise sur son banc, qui sourit mais qui ne capte rien. Je n’avais que 25 ans bientôt 26 pourtant.
Une valise remplie de vêtements et un sac plein de livres et ustensiles de cuisine plus tard, nous étions prêts à partir. Et bizarrement, vu comme Virgil était agréable, je n’appréhendais même pas le trajet en voiture. Un dernier léger coup de propre et nous éteignions les lumières. L’appartement allait pouvoir commencer son hibernation.
« Pas trop ému ?
- Non, ça va. Je suis content même. Et puis, je t’ai dit, j’aime bien tourner des pages. C’est salvateur des fois.
- Toutes sortes de pages ? Tu m’effraies un peu là.
- Mais non. Il y a des pages qui sont bien trop lourdes pour être tournées d’un claquement de doigt. Allez viens mon chéri, on ne va quand même pas laisser Virgil porter tout, tout seul.
- Oh, moi ça ne me dérangerait pas...
- Simon, ne recommence pas !
- Je plaisante. Et il a quoi comme voiture ? Tout va rentrer tu crois ?
- Il m’a dit qu’il en a changé. On va bien voir.
- Putain, attends, je crois que j’ai oublié mon portable chez toi. Bippe-moi s’il te plait.
- Je ne l’entends pas. File-moi les clés, je remonte vite fait. »

Quelle vue quand même ! Je ne pus m’empêcher de me refaire cette réflexion en arrivant dans l’appartement. Boris devait sacrément m’aimer pour laisser tout ça derrière lui. Ou alors, il n’était pas matérialiste pour un sou. Je passai en revue le salon pour y apercevoir mon téléphone et effectivement, il était là, posé sur la table de nuit. Je m’assis machinalement sur le lit. Et repensai un court instant, à ce premier matin passé chez lui. A ma surprise et à ma gêne. A lui, beau comme un dieu de l’Olympe. A ses attentions. A cette serviette autour de sa taille. Mon téléphone sonna. Boris. Oui, oui c’est bon, je viens de le retrouver. Je descends. Je t’aime. Allez, mon appartement allait être notre nouveau terrain de jeu. D’ailleurs, il avait déjà commencé à l’être. Et il y aurait encore plein de matins avec des serviettes autour de la taille, des attentions, des baisers, et j’en passe. Avant de partir, je pris avec moi les deux oreillers. Ils étaient tellement confortables. Et c’est là que je l’ai vu, le recueil de poèmes. Toujours posé sur le lit, à moitié recouvert par le drap. J’étais persuadé qu’Eléanore l’avait emmené. Il m’avait même semblé la voir le mettre dans son sac. Vous imaginez bien que j’eus envie de le prendre. Un bref instant, je me vis le prendre, le mettre dans mon sac et faire comme si de rien n’était. Il fut bref cet instant. « Non. Laisse-le où il est. Des fois, il faut faire comme si le passé n’avait pas existé. Ou du moins, comme s’il n’avait pas autant d’importance » dit une petite voix au fond de moi.

Le retour fut rapide. En moins d’une heure vingt, le 4x4 de Virgil nous ramena rue Eau de Robec. Je ne suis pas sûr qu’il ait respecté toutes les limitations de vitesse mais bon... Et puis, nous avions plein de choses à raconter. Virgil était vraiment intéressant quand il voulait.
«  T’es sûr que tu ne veux pas dormir ici ce soir ?
- Non franchement, c’est gentil mais je pense que je vais aller voir mes cousins à Deauville. Mais je reviendrai un de ces quatre si vous voulez.
- Quand tu veux.
- Au fait, le 19, je fête mon anniversaire donc si t’es libre, viens ça me ferait plaisir.
- Ça marche, tu peux compter sur moi.
- Cool. Je dois bien t’avouer que la première fois que je t’ai vu, tu m’as fait peur.
- Cherche pas, j’étais un connard ce soir-là.
- Si je peux me permettre, pas que ce soir-là. Mr le Roi du faux plan.
- C’est bon Bo’, n’en rajoute pas. Ça va mieux là. Je me reprends un peu en main.
- Ouais ben tant mieux parce que je supportais moyen tes états d’âme embrumés.
- C’est mon procès ou quoi ? Je vais remettre toutes tes affaires dans la voiture et retour à la case départ si tu continues.
- Oui, c’est vrai Boris, arrête.
- Fayot.
- Et puis, en plus, quelqu’un qui regarde Loïs et Clark ne peut pas être foncièrement mauvais.
- La honte. Boris t’a dit ?
- Oui. Mais ce n’est pas la honte. Loin de là. J’adore cette série moi. C’est toute mon enfance.
- Grave, moi aussi.
- Ben vous voyez, ça vous fait un point commun ! Les grandes histoires d’amitié commencent toujours comme ça.
- Avec Loïs et Clark ?
- Mais non, avec un truc insignifiant et puis, de fil en aiguille, on s’en découvre d’autres et finalement, on ne peut plus se quitter.
- Bon en attendant, moi je file. Merci pour le coca.
- Merci à toi surtout, c’est vraiment super sympa de ta part de nous avoir ramenés.
- Vu votre bordel, il fallait mieux. A dans quinze jours donc.
- Oui le 19.
- Il faut amener quelque chose ?
- Du champagne rosé. Ou du crémant. Comme tu veux.
- Ne lui dis pas ça. Radin comme il est il va ramener du crémant.
- T’es vraiment un petit con toi quand tu t’y mets. Surtout, ne te laisse pas faire Simon. Il croit trop qu’il est tout permis avec sa tronche d’ange qui s’est fait virer du Paradis, j’en sais quelque chose. De longues années de pratique.
- Bon va t’en avant de raconter des dossiers.
- Non reste ! Raconte, je veux savoir !
- T’es malade ? Non vas y casse-toi !
- Tu sais ce qu’on va faire Simon ? Ça sera ton cadeau d’anniversaire. Je te dévoilerai toutes ses casseroles.
- Ça sera vite fait, il n’y a rien à raconter. Je suis parfait.
- C’est ça. J’ai hâte d’y être. Merci encore Virgil.
- Arrête de me remercier. Et juste pour te faire mentir Boris, je ramènerai une caisse de Piper rosé. Allez, bye !
- Bye. Sois prudent et envoie un message quand t’es arrivé. Ok ?
- Oh, c’est mignon, il s’en fait pour moi.
- Non, il a raison, envoie un message.
- D’accord Papa et Maman. Mais, qui fait Papa, qui fait Maman au juste ? »

Et voilà. Nous étions tous les deux. Seuls. Bien sûr, il y avait David Bowie qui n’arrêtait pas de tourner autour de nous en poussant de petits miaulements plus proches d’un cri de corbeau que d’un réel miaou félin. Mais ça ne faisait rien, nous étions enfin tous les deux. Au milieu d’un, deux, trois, quatre gros sacs de voyage et d’une valise bourrée à craquer d’affaires. Et de quelques meubles aussi. Nous étions chez nous. Ça n’était plus chez moi ici désormais, c’était chez nous. Non, Chez Nous. Je ne pouvais m’empêcher de comparer avec l’installation d’Elias. Il n’avait rapporté que quelques livres, quelques disques, une cafetière et quelques vêtements. Jamais, on n’aurait pu appeler ça un chez nous. C’était chez moi et Elias.
Là, l’histoire démarrait enfin de la meilleure des manières. On pouvait prendre une belle page blanche. Du papier épais et soyeux. Notre plus belle plume et enfin commencer à écrire notre histoire commune.