Vendredi 28 Août
« Coucou.
- Oh, ça y est, tu es rentrée ?
- Oui, oui, à l’instant. Je viens de trouver ton petit mot.
- Ok. Et c’était bien alors ?
- Oui, c’était cool. Tu me laisses une petite heure et ensuite on va faire un tour et discuter ?
- D’accord. Tu ne m’en veux pas trop alors ?
- On en discutera dans une petite heure. A tout à l’heure darling. »
Je devais bien avouer qu’après la semaine que j’avais passée, je n’avais pas eu trop le temps de stresser en prévision de mon entrevue avec Norma. Et j’avais le pressentiment que ça allait plutôt se passer en douceur. Il était évident qu’on avait besoin de parler, franchement, sérieusement, comme deux adultes que nous étions. L’abcès avait besoin d’être crevé. Bon, après, il ne fallait mieux pas que je rejoue à l’égoïste de service parce que j’en prendrais pour mon grade. Son ton au téléphone était plutôt froid mais elle avait conclu par un darling qui ne trompait pas. Quand elle était vraiment fâchée, Norma m’appelait toujours Simon.
« On va se poser à l’aître Saint-Maclou ? Ça te dit ?
- Oui, carrément ! Ça fait longtemps que je n’y suis pas allé en plus ! Reste à espérer qu’il n’y ait pas trop de touristes. On a peut-être une chance vu l’heure qu’il est. Franchement, je tiens encore à m’excuser d’avoir été aussi peu présent pour toi... Je m’en veux, tu sais.
- A en juger par les messages que tu m’as envoyés, oui, j’ai cru le comprendre. Je t’avoue que ça m’a un peu blasée. Je n’ai pas très bien compris pourquoi d’un coup j’avais plus de nouvelles. J’ai cru que tu me faisais la gueule même si je ne voyais pas trop pour quelle raison. Et t’as changé de portable alors ?
- Ouais. Enfin, j’ai jeté mon ancien portable histoire de ne plus avoir de coups de téléphone d’Elias.
- Radical. Mais bon au moins ça a le mérite d’être efficace.
- Ouais, si on veut. Il s’est quand même pointé chez moi dimanche dernier.
- Non ? Et t’as fait quoi ? Tu lui as ouvert ? Comment ça s’est passé ?
- Je te raconterai une fois qu’on aura mis les choses au clair, autant faire les choses dans l’ordre.
- Non vas-y raconte. Il voulait quoi ? T’as dû trop te sentir mal.
- J’étais plutôt dans un sale état c’est clair. Il voulait me donner un truc et récupérer sa cafetière.
- Fausse excuse. C’est bidon. Il est bidon ce type. T’as pas craqué au moins ? En mode pauvre petite chose.
- Entre deux sanglots, j’étais plutôt glacial mais il s’est quand même excusé. Il voulait revenir. Son gamin est né. Il ne peut pas assumer. Il ressemble à un zombie, je te jure. Effrayant.
- Ah ouais ? Du genre maigre et pâle ?
- Ouais. Maigre, sale, pâle. Pas le type sexy du début. Et donc il a essayé de s’excuser, je l’ai écouté et j’ai refermé ma porte, pour mieux m’écrouler. Je ne pouvais plus m’arrêter de pleurer. Et pourtant, je t’assure, dimanche, j’étais en forme, j’avais même fait le marché.
- Merde, j’ai loupé ton petit sursaut forme et santé de l’année. Je le vis mal.
- Non, plaisante pas, je vais essayer d’y aller plus souvent. C’est vraiment enthousiasmant.
- Enthousiasmant. Tu n’as pas un mot encore plus vieillot ? Je te connais Simon. Quand tu te seras couché à pas d’heure parce que t’auras fait la fiesta le samedi soir, t’auras pas franchement la motiv’ pour aller au marché.
- On en reparlera. Je suis un homme nouveau désormais !
- Ah oui, c’est vrai, j’avais oublié ! Tu me fais trop rire Darling. Et avec Boris alors, c’est toujours l’amour fou ?
- T’aimerais que je te dise non, que ça va mal ? Avoue garce ! Ben non ça va super bien et d’avoir vu Elias, ça m’a fait réalisé qu’en fait je tenais vraiment à Boris et que je voulais qu’on vive ensemble.
- Hein ? Attends, je ne capte pas là... Il y a encore quinze jours, tu étais contre cette idée, tu voulais y aller mollo.
- Ouais, ben voir Elias m’a fait réaliser le contraire et puis comme on dit, y’a que les imbéciles qui changent pas d’avis donc bon...
- Et tu vas lui proposer quand alors ?
- Déjà fait. Je lui ai demandé dimanche, dans la foulée. Il a pas bien compris non plus. Il croyait que je lui faisais une vieille blague dont j’ai le secret. Mais il a fini par dire oui. Pour lui, c’était Noël avant l’heure, il était trop content.
- C’est génial. Enfin, sur le papier ça semble génial mais concrètement, ça va se passer comment. Lui à Paris et toi ici ?
- On ne sait pas encore très bien mais ce qui est sûr c’est que lui n’est pas contre venir s’installer à Rouen.
- Il va abandonner son palais parisien ? Quel dévouement ! C’est cool pour vous en tout cas. Si c’est ce que vous voulez vraiment, c’est cool.
- Ben oui c’est ce qu’on veut, tu insinues quoi ?
- Rien, rien. J’espère juste que vous y avez bien pensé.
- A dire vrai, j’en ai marre de réfléchir à tout ces derniers temps. Envie d’arrêter de me mettre tout seul des bâtons dans les roues. Je suis heureux avec lui alors j’en profite. Carpe diem comme on dit. »
Voilà, nous y étions. L’entrée de l’Aître Saint-Maclou. J’aimais infiniment cet endroit qui abritait l’Ecole des Beaux Arts de Rouen. C’était une vieille cour encerclée d’un bâtiment à colombages gravés d’ossements et de crânes. Et je crois que mon petit côté fan de Tim Burton y trouvait son compte. Comme nous le craignions, il y avait encore beaucoup de touristes et un guide racontait dans un mauvais accent anglais l’histoire trouble de ce lieu. Traversant la foule compacte de vieux touristes ‘embermudés’ qui nous offraient le spectacle morose de leurs jambes dodues, pâles et variqueuses, nous nous installâmes sous les arbres plantés au milieu et notre discussion pouvait reprendre de plus belle.
« Et toi alors ? Raconte un peu ! Parce que depuis tout à l’heure, je parle de moi mais toi, comment ça s’est passé chez ton frère ?
- Oh tu sais, pas grand-chose à raconter. J’ai pris le soleil au bord de la piscine comme je l’avais prévu. On a fait des barbecues, on a bu du rosé et voilà ! Ah oui, on est allé au ciné aussi.
- Et ton frère va bien ?
- Ouais, tranquille. Mon frère quoi ! Le mec qui ne se prend jamais la tête. Ça fait du bien de traîner avec des gens pas compliqués.
- Bizarrement, je la prends un peu pour moi cette phrase.
- Mais non darling, qu’est ce que tu vas imaginer ?
- Et vous avez vu quoi au ciné ?
- Transformers 2. Ahahaha. Si t’as pas envie de réfléchir, faut vraiment que tu ailles voir ce film.
- Oui je sais, on l’a vu aussi avec Pierre. Et G.I. Joe aussi. On s’est fait une journée films de merde.
- Des fois ça fait du bien. T’as vu Pierre un peu alors ?
- Un peu, beaucoup même. J’ai passé toute la semaine avec lui pour ainsi dire. Lundi, on est allé se balader à Etretat. Mardi, on est allé à la plage à Villers. Mercredi, c’était cinéma et resto. Et hier, je l’ai aidé à emballer ses dernières affaires. C’était cool de passer du temps avec lui.
- Faut que j’essaye de le voir ce soir. Et ça va ? Il est content de partir ?
- Carrément, il trépigne d’impatience même. Ça va faire tout drôle sans lui, tu ne crois pas ?
- Grave. Il va y avoir un gros vide. Mais on essaiera d’aller le voir là-bas. En plus, j’y repensais la dernière fois mais il va y avoir un nouveau locataire puisque son appart va se libérer. Faut qu’on ait un droit de regard. Histoire qu’on ne se ramasse pas un vieux cassos.
- Ouais, faudrait pas briser l’harmonie de notre immeuble parfait ! Ah au fait, tant que j’y pense, réserve ton samedi 12.
- Pourquoi ? Tu vas faire un truc pour ton anniversaire ?
- Exact ! Une bonne soirée. Et comme ça, je pourrai te présenter les gens que j’ai rencontrés à Paris. Tu vas voir, ils sont super sympas.
- Tous des gays j’imagine...
- Il y en a un qui ne sait pas trop mais sinon les autres oui. Ben tu sais, c’est le guitariste qu’on avait vu à Beaubourg !
- Ah oui, ça me dit quelque chose. Il était plutôt mignon non ?
- Ben ouais. Mignon et vraiment adorable.
- Dommage je les aime un peu méchants. Mais faut voir. Et je peux te dire que quand il verra mes seins il va vite savoir !
- T’es bête. Il est au-dessus de ça je crois.
- Et c’est quoi son petit nom à Mr Je ne sais pas trop ?
- Thad. Ouais, je sais ce n’est pas courant.
- C’est le moins qu’on puisse dire, ils avaient fumé quoi ses parents ?
- Il est américain. Il vient de l’Utah.
- Ah ok ! Et il est mormon ?
- Bonjour les clichés ! Non, il n’est pas mormon.
- Et Boris alors ? Tu le vois quand ? Pourquoi il n’est pas déjà arrivé sur son beau cheval blanc ?
- Ouh la, t’es en forme toi ! Cinq jours chez ton frère et tu es au taquet ! J’ai trop l’impression que tu ne l’aimes pas beaucoup Boris en fait.
- Tu te trompes. C’est juste qu’il est un peu trop parfait pour être honnête c’est tout. Les contes de fée, même gamine, moi je n’y croyais pas.
- Il est loin d’être parfait. Ah mais attends, j’ai oublié de te raconter le gros scoop de ces derniers jours !
- Quoi ? En fait, avec Eléanore, ils sont trois et le deuxième frère est hétéro et il meurt d’envie de me rencontrer ? Dis-moi que c’est ça !
- T’es vraiment une crevarde. Il est temps que tu baises un coup je crois.
- Ah mais c’est ça que je ne t’ai pas dit ! Moi aussi, j’ai un scoop ! Comment j’ai pu oublier de te dire un tel truc ? Bon, qui commence là ? Enfin ça devient intéressant !
- Vas-y, toi d’abord ! Mais j’avoue que je crains le pire !
- Je t’ai déjà parlé de Justin ? Tu sais le mec que j’avais rencontré au Vicomté au mois de mai ? Un grand blond/brun, über-craquant.
- Ouais peut-être... Ça me dit trop rien mais faut dire qu’en mai, j’étais un peu ailleurs. Et donc ?
- Ben, il m’a appelé mercredi soir pour prendre de mes news. On a discuté pendant une heure peut-être et il aimerait bien me revoir, figure-toi !
- Waouh ! Il s’était passé un truc en mai ? J’avoue que je me souviens plus de lui. T’es sûre de m’en avoir parlé ?
- Ben oui je crois. On s’était juste embrassé mais je mettais ça plus sur le compte de la quantité industrielle de champagne qu’on avait ingurgitée.
- Tu le vois quand alors ?
- La semaine prochaine ! J’ai trop hâte !
- J’imagine.
- Si ça se trouve, il y aura un invité de plus à ton anniversaire ! D’ailleurs faut que je pense à m’épiler.
- Ouais depuis le temps qu’il s’est rien passé par là, ça doit être la jungle avec toucans et ouistitis inclus !
- Peut-être pas quand même mais pas loin. Il manque juste les toucans. Bon et toi alors c’est quoi ce méga scoop ?
- La dernière fois chez Boris j’ai découvert un truc de fou. Un truc que t’imagines pas deux secondes quand tu le vois.
- Quoi ? Une pièce secrète remplie de godes, de fouets et de menottes ? Enfin il devient intéressant !
- Mais non ! Il adore faire la cuisine. Chez lui, c’est la caverne d’Ali Baba ! Dément.
- Gé-nial. Je t’avoue que je m’attendais à autre chose. Il a le droit d’aimer faire la cuisine. Et puis il n’y a pas que les gros joufflus qui ont le droit d’aimer ça. Ça aussi c’est un peu cliché
- Non, t’as pas compris. Tu aurais vu ce que j’ai vu, c’est au-delà de ça. Il a au moins une centaine de bouquins. Et il a même des ustensiles dont je ne soupçonnais même pas l’existence ! Tu sais ce que c’est toi une corne de pâtissier ? Ou bien une toile Silpat ? Il a tout chez lui. Tout !
- Ben c’est cool ! Il va pouvoir nous faire plein de trucs bons à manger !
- Ben c’est là que ça coince ! A force que sa famille et son entourage lui répètent que faire la cuisine n’est pas un truc digne et respectable, Boris bloque et ne veut plus en entendre parler. J’aimerais tellement qu’il fasse ce qu’il a envie et qu’il se lance à fond dans cette passion. Je l’imagine bien ouvrir un resto ou un truc du genre. Pas toi ? Genre dans le local à louer dans notre rue.
- Ben oui c’est une bonne idée. Mais c’est peut-être juste une passion. Est-ce qu’il veut en faire son métier ?
- Je ne sais pas trop. J’essaye d’en parler avec lui mais c’est compliqué.
- Bon et tu le vois quand alors ? Pourquoi il ne vient pas ce week-end ? Histoire que je trouve ses défauts.
- Il va venir le week-end prochain. Il doit voir son père avant et son meilleur ami aussi. D’ailleurs lui, il me déteste.
- Pourquoi ? Tu te fais certainement des idées.
- Au départ, c’est ce que je croyais mais il l’a clairement dit à Boris. Il lui a dit qu’il ne me sentait pas et que j’avais l’air faux. Je ne comprends pas trop.
- Ça doit être un truc de meilleur ami cherche pas. On aime bien prendre un malin plaisir à détester vos amoureux.
- Quoi ? Ça veut dire que tu détestes Boris ?
- Mais non, je déconne ! Tu démarres toujours au quart de tour toi ! Relax ! »
Et ainsi de suite notre conversation a continué. Il n’y a avait plus de reproches, plus d’amertume. Y’en avait-il seulement eu ? J’avais tout juste l’impression d’avoir fait un mauvais rêve. J’avais imaginé un règlement de comptes, une dispute, des mots plus hauts que d’autres puis une réconciliation pour finir. Mais rien de tout ça. Juste une conversation entre deux amis qui tiennent l’un à l’autre. Une conversation comme on en avait déjà eu des dizaines, des centaines peut-être. C’était ça en fait la seule vraie définition de l’amitié. Ce que Norma n’avait pas aimé c’était le fait d’être laissée de côté pendant quelques jours, d’être déconnectée de moi. Pas besoin de se prendre la tête, il suffisait juste de donner des nouvelles, de rebrancher quelques fils.
En fin de journée, alors que les touristes de toutes nationalités quittaient ce lieu magique et intemporel, Norma et moi sommes restés assis. Elle a fini par poser sa tête sur mes épaules. Puis plus un mot, plus un bruit. A peine le murmure imperceptible des feuilles caressées par le vent.